En cette période où il faut rester à la maison, je vous propose une série d’interviews en compagnie de professionnels de la culture. L’occasion d’en savoir plus sur leurs métiers, sur les institutions dans lesquelles ils travaillent mais aussi sur les dispositifs qu’ils déploient pour garder un lien avec le public malgré le confinement.
Aujourd’hui, direction Hauterives dans la Drôme pour un échange avec Frédéric Legros, directeur du Palais idéal du facteur Cheval. Il nous parle de l’histoire de ce monument atypique, de son quotidien en mode confiné et nous livre quelques astuces pour découvrir le Palais à distance !
Pouvez-vous vous présenter, nous parler de votre poste et de votre parcours ?
Aujourd’hui ça fait un an que je suis directeur du Palais idéal du facteur Cheval ! Auparavant, j’ai eu la chance de ne travailler que dans des lieux extraordinaires ou singuliers : l’île de Vassivière, la Monnaie de Paris, la Villa Médicis à Rome ou encore la ville de Melle avec ses mines d’argent et sa triade d’églises romanes… Quand j’ai vu l’annonce annonçant que la mairie de Hauterives cherchait un directeur pour le Palais idéal du facteur Cheval j’ai postulé avec énormément d’enthousiasme et d’envie parce que j’adore raconter des histoires et le Palais idéal du facteur Cheval me semblait le paroxysme du lieu pouvant permettre cela.
Le Palais est un lieu tellement inspirant pour les artistes, à la fois populaire et porteur d’un message universel que c’est un plaisir de pouvoir y œuvrer chaque jour en incitant de nouveaux créateurs à venir, et d’accueillir au mieux un public qui vient toujours plus nombreux pour découvrir ce bâtiment, œuvre d’une vie, d’un seul homme.
Je suis le plus jeune directeur du Palais idéal, et seulement le quatrième. Notre rôle à tous est celui d’un passeur entre un public toujours plus nombreux et un monument. En ayant à cœur de préserver ce bâtiment mais aussi l’esprit du facteur Cheval, je tente d’initier des rencontres, rassembler des gens, générer des collaborations. Le caractère exceptionnel, humain et universel du Palais idéal offre un espace qu’il me semble essentiel d’ouvrir à la création, d’une part pour poursuivre le travail de diffusion initié par le facteur mais aussi pour renforcer la stimulation artistique développée par les artistes qui rendent hommage au facteur depuis déjà plus d’un siècle.
Au-delà de la gestion administrative quotidienne, mon ambition est de faire du Palais idéal un lieu d’innovations et d’expérimentations qui rassemble dans un même lieu le patrimoine et la création et les met en dialogue.
Pouvez-vous nous présenter le Palais Idéal du Facteur Cheval ?
Le Palais idéal du facteur Cheval c’est autant un monument unique, extravagant, splendide et merveilleux qu’une histoire fantastique et inspirante. En effet, au printemps 1879, cela fait déjà 10 ans que Ferdinand Cheval – fils de paysan, apprenti boulanger devenu facteur – rêve d’un palais imaginaire, quand il va trébucher sur une pierre qui va changer sa vie. Cette pierre est d’une forme si extraordinaire qu’il se dit « puisque la nature veut faire la sculpture, je ferai la maçonnerie et l’architecture ». Dès lors, dans son potager à Hauterives, il va débuter la construction d’un bâtiment qui deviendra célèbre dans le monde.
Chaque jour, il fait 32 km à pied pour réaliser sa tournée et distribuer du courrier. Durant son service, il aura réalisé en marchant 200.000 km, soit cinq fois le tour de la terre (sans quitter la Drôme). La nuit, il vient construire son bâtiment à partir des pierres qu’il a ramassées sur son chemin. S’inspirant de cartes postales et de gravures de magazines de l’époque, il va concevoir une œuvre symbole de fraternité où toutes les cultures viennent se mélanger.
La construction va durer 33 ans pour achever cet édifice d’une longueur de 26 mètres, d’une largeur de 12 mètres et d’une hauteur de 12 mètres. Ferdinand Cheval voulait que ce soit son tombeau, mais du fait des lois qui le lui interdisent, à l’âge de 78 ans il va encore construire son tombeau pendant 8 années supplémentaires. C’est là qu’il repose aujourd’hui. D’un point de vue personnel, je considère le tombeau du facteur Cheval comme le véritable joyau de cet artiste autodidacte.
Dans le Palais idéal on retrouve une multitude de détails, toute une faune avec des animaux que le facteur n’a découvert qu’à travers des images, une flore luxuriante, différentes mythologies. On retrouve dans le Palais autant un temple hindou qu’une mosquée, des chalets suisses, châteaux forts… Il y a aussi dans le Palais plus d’une soixantaine de phrases inscrites par son auteur, de véritables maximes qui encore aujourd’hui sont d’une incroyable portée : « ce n’est pas le temps qui passe mais nous », « les fées de l’Orient viennent fraterniser avec l’Occident ».
En 1969, il est classé par André Malraux aux Monuments Historiques contre l’avis de tous les experts qui tiennent d’ailleurs des propos qui aujourd’hui semblent inconcevables : « Le tout est absolument hideux. Affligeant ramassis d’insanités qui se brouillaient dans une cervelle de rustre ».
Il est aussi important de noter que ce bâtiment a eu énormément de retentissement auprès des plus grands artistes, que ce soit Picasso, Dali, Breton, ou plus récemment Agnès Varda, Fabrice Hyber…
Depuis le confinement, à quoi ressemblent vos journées ?
Avant, dans mon appartement, je n’avais quasiment pas le temps de travailler dans mon bureau, désormais c’est devenu la pièce principale, une « annexe » du Palais idéal. Toute ma bibliothèque est à Paris, mais je crois que j’ai regroupé ici tout ce qui a été écrit sur le facteur Cheval.
Même si j’ai la chance d’habiter à Hauterives, dans la Drôme des Collines, depuis le confinement je ne sors quasiment jamais, sauf pour me rendre au Palais et à la Mairie une fois par semaine. Il y a eu différentes phases dans cette période troublée. Lors des premières semaines, nous avons réalisé différentes recherches très exaltantes sur le Palais idéal et son retentissement, ses visiteurs illustres signataires du Livre d’or ouvert par le facteur lui-même dès 1905. Par ailleurs, toute l’équipe a eu à gérer les nombreuses annulations de groupes. Il y a eu ensuite cette seconde phase assez intense émotionnellement où il a fallu annuler des projets et reconsidérer la programmation dans son ensemble (expositions et concerts). Désormais, nous sommes en train de travailler sur de nouveaux projets pour renouveler la vision du Palais idéal.
Cela me semble très étrange de ne plus être avec les membres de l’équipe (et je pense que ça nous manque à chacun) il est vrai aussi qu’il était très rare habituellement que je mange à la maison donc ça c’est nouveau ! Dans tous les cas, je n’ai absolument jamais eu l’occasion de m’ennuyer !
Comment faites-vous pour garder un lien avec le public pendant le confinement ?
Dès le premier jour de fermeture, l’équipe et moi-même avons décidé de continuer de diffuser l’œuvre de Ferdinand Cheval. Nous avons d’abord commencé par publier chaque jour sur nos comptes Facebook et Instagram, une phrase ou une maxime du facteur Cheval accompagnée d’une image de son emplacement dans le monument, c’est un moyen de garder le lien avec notre public. Même les plus fidèles de nos visiteurs découvrent et apprécient des citations qu’ils ne connaissaient pas. A cela se sont ajoutés d’autres rendez-vous, les mercredis nous partageons un morceau de l’exposition « Agnès Varda. Correspondances », les vendredis une chanson écrite en hommage au facteur Cheval, les samedis une vue de drone du Palais idéal et les dimanches nous dévoilons des archives inédites de personnes qui ont connu le facteur Cheval. A ma grande surprise, l’équipe reçoit aussi beaucoup de sollicitations de visiteurs par email, et tous sont en attente de notre réouverture.
Quelle est l’actualité du Palais cette année ? Que pourra-t-on y voir après le déconfinement ?
Malheureusement, du fait de cette situation, nous avons dû annuler l’exposition inédite de Claude Lévêque intitulée « Le Palais des Fées » qui devait se tenir au château de Hauterives et permettre à ce grand artiste de concevoir un parcours émotionnel et sensitif qui faisait écho à la vie du facteur Cheval. Nous avons dû décider de la reporter à l’année prochaine tout comme notre programmation de concerts et spectacles composée d’artistes très populaires avec aussi de petites excursions vers un répertoire plus classique ou un spectacle porté par une célèbre actrice.
C’était ma première programmation musicale au Palais idéal du facteur Cheval et j’avoue que j’ai été déstabilisé d’avoir à la reporter. Pour autant, cette programmation éclectique que nous avons voulue comme un symbole d’échange et de partage faisant la part belle à des artistes féminines devrait pouvoir entièrement être reportée à l’été 2021.
Par chance, vu son succès, nous avions décidé de prolonger l’exposition « Agnès Varda Correspondances » et ce sera elle qui accueillera les visiteurs à la réouverture du Palais idéal. Cette exposition met en valeur la question de la correspondance et notamment la figure du facteur (dont le plus illustre, le facteur Cheval) au sein de l’œuvre de Agnès Varda ; mais aussi ses liens avec d’autres artistes (Calder, Jacques Demy, Annette Messager …). Il s’agit du premier volet d’une trilogie d’expositions qui sera consacrée à Agnès Varda au Palais idéal du facteur Cheval.
Merci beaucoup à Frédéric de s’être prêté au jeu de cette « interview confinement » et à Federica de l’agence Anne Samson qui a facilité cet échange. Pour en savoir plus sur le Palais idéal du facteur Cheval, rendez-vous sur le site internet du monument ainsi que sur les comptes dédiés sur Facebook et Instagram.
Retrouvez les précédentes « interviews confinement » :
- Thomas Garnier, community manager et photographe au château de Versailles
- Louisa Torres, conservatrice à la BnF
- Georges Manginis, directeur scientifique au musée Benaki d’Athènes
- Hélène Boubée, chargée de l’éditorialisation numérique de Paris Musées
- Anthony Chenu, chargé de la communication et de l’action éducative à l’Arc de Triomphe
- Elise Lafages, attachée à la communication digitale de l’Opéra de Dijon
- Emma Fonteneau, médiatrice culturelle et community manager au château d’Angers
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