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Le père de Lison vient de mourir. Il lègue à sa fille une pile de cahiers qu’il a rédigés tout au long de sa vie dans le plus grand secret. Un journal intime ? Non, un journal d’un corps ! De ses 12 ans, 11 mois, 18 jours jusqu’à ses 87 ans, 19 jours, son père a couché sur le papier toutes les surprises que son corps lui faisait ressentir, sans pudeur ni tabou.


Daniel Pennac - Journal d'un corps

C’est un sujet insolite qui fait de ce roman un texte unique en son genre. Dans notre époque, la représentation du corps se fait souvent à travers des images photoshopées qui masquent le moindre défaut. Ici, Pennac livre un roman où rien n’est mis de côté, tous les aspects du corps y sont abordés, sans censure. Tout est dit : des sujets graves (la maladie, la vieillesse, la peur de la mort) aux plus légers (les crottes de nez, les ronflements) en passant par les plus intimes (la découverte de la sexualité, l’évolution de la libido).

Etre à l’écoute de son corps devrait être une chose naturelle, pourtant nous en prenons rarement le temps. Bien sûr, face à la maladie on s’interroge. Mais vous êtes-vous déjà vraiment interrogé sur votre goût ? sur vos crottes de nez ? sur vos pets, vos rots ?!… On se retrouve forcément dans ce livre – quoi de plus universel qu’un corps ? – et on en apprend aussi beaucoup sur notre propre corps. C’est sans doute ce qui rend cet ouvrage aussi agréable à lire.

Pennac réussit à nous faire passer par toutes les émotions. Journal d’un corps fait rire mais ne manquera pas, dans certains passages, de nous émouvoir. Il sera difficile de ne pas sourire quand, encore adolescent, le narrateur invente avec ses amis un jeu de l’oie d’un genre nouveau où la récompense sera un dépucelage ! Et comment ne pas être inquiet ou triste avec lui quand il appréhende l’arrivée d’une maladie ou qu’il perd un être cher ?

Extrait de la première page :

Mon amie Lison – ma vieille, chère, irremplaçable et très exaspérante amie Lison – a l’art des cadeaux embarrassants, cette sculpture inachevée qui occupe les deux tiers de ma chambre, par exemple, ou les toiles qu’elle laisse à sécher pendant des mois dans mon couloir et ma salle à manger sous prétexte que son atelier est devenu trop petit. Vous avez entre les mains le dernier cadeau en date. Elle a débarqué chez moi un matin, a fait place nette sur la table où j’espérais prendre mon petit déjeuner et y a laissé tomber une pile de cahiers légués par son père récemment disparu. Ses yeux rougis indiquaient qu’elle avait passé la nuit à les lire. Ce que j’ai fait moi-même la nuit suivante. Taciturne, ironique, doit comme un i, auréolé d’une réputation internationale de vieux sage dont il ne faisait aucun cas, le père de Lison, que j’ai croisé cinq ou six fois dans ma vie, m’intimidait. S’il y a une chose que je ne pouvais absoluement pas imaginer de lui, c’est qu’il ait passé son existence entière à écrire ces pages ! En état de sidération, j’ai sollicité l’avis de mon ami Postel, qui avait longtemps été son médecin (comme il fut celui de la famille Malaussène). La réponse tomba, instantanée : Publication ! Sans hésitation. Envoie ça à ton éditeur et publiez ! Il y avait un hic. Demander à un éditeur de publier le manuscrit d’une personnalité passablement connue qui exige de garder l’anonymat n’est pas chose facile ! Dois-je éprouver quelque remords d’avoir extorqué une telle faveur à un honnête et respectable travailleur du livre ? Vous en jugerez par vous-même.

 

Extrait : 30 ans, 3 mois – Jeudi 10 janvier 1974

Si je devais rendre ce journal public, je le destinerais d’abord aux femmes. En retour, j’aimerais lire le journal qu’une femme aurait tenu de son corps. Histoire de lever un coin du mystère. En quoi consiste le mystère ? En ceci par exemple qu’un homme ignore tout de ce que ressent une femme quant à la forme et au poids de ses seins, et que les femmes ne savent rien de ce que ressentent les hommes quant à l’encombrement de leur sexe.


Extrait : 60 ans – Lundi 10 octobre 1983

Mon anniversaire. Pourquoi fête-t-on les dizaines avec tant de faste ? Mona a rameuté le ban et l’arrière-ban. Seront-ils aussi nombreux à mon enterrement ? Selon Tijo, la fête s’impose doublement, chaque dizaine étant à la fois enterrement et naissance. Tu étais un vieux quinqua te voilà un jeune sexagénaire, dit-il en levant son verre à ma santé. Un marmot dans ton nouvel âge. Vive toi ! Pas si mal vu. Souffle tes soixante bougies, bonhomme, tu renais pour dix ans !


Extrait : 79 ans, 5 mois, 17 jours – Jeudi 27 mars 2003

Venise. Echappant à sa mère un petit garçon se plante devant moi et déclare, menton levé : Moi, j’ai quatre ans et demi ! Plus tard dans l’après-midi, une vieille bienfaitrice de l’endroit m’assène : Et vous savez, j’ai tout de même quatre-vingt-douze ans ! A partir de quand cesse-t-on d’annoncer son âge ? A partir de quand recommence-t-on à le faire ? Quant à moi, je ne dis jamais mon âge exact mais je laisse aller des formules du type « maintenant que je suis un vieux monsieur », expressions que je ne peux pas retenir et qui, sitôt lâchées – avec un sourire détaché –, me remplissent de fureur et de honte. Qu’est-ce que je cherche ? A me faire plaindre – je ne suis plus ce que j’étais ? A me faire admirer – voyez néanmoins comme je suis resté vert ? A renvoyer mon interlocuteur à son inexpérience en posant au vieux sage – de ce fait j’en sais tout de même plus long que vous ? Quoi qu’il en soit, cette plainte (car c’est une plainte, nom de Dieu !) exhale un parfum de peureuse incontinence. J’échappe à ma mère pour me planter, menton levé, devant ce solide quadragénaire : « Moi, j’ai soixante-dix-neuf ans et demi ! »

 

Et vous, vous l’avez lu ? Qu’en avez-vous pensé ?

Daniel Pennac Journal d'un corps couverture

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Daniel Pennac - Journal d'un corps 1

Pennac compte parmi mes écrivains préférés, ce n’est donc pas sans plaisir que je suis allé à sa rencontre au salon du Livre. C’est quelqu’un de très accessible et d’une grande gentillesse. En plus, il veut même voter pour moi !

 
Note : Daniel Pennac - Journal d'un corps 2

2012 – 390 pages – ISBN : 978-2-07-012485-5
Daniel Pennac (1944) – Français

 

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