On m’a souvent reproché de faire un usage abusif des adjectifs et de détourner ainsi le regard du lecteur pour qu’il chausse mes lunettes. Cette fois je n’avancerai pas masqué et j’ose affirmer que l’exposition David Altmejd m’a fait éprouver une joie curieuse et profonde. Les sculptures de cet artiste québécois récemment quadragénaire plongent aux mythes communs les plus enracinés et dessinent une voie parfaitement nouvelle. Cette trajectoire, ce « flux », irrigue de bout en bout la rétrospective que le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris consacre à l’artiste. Cette exposition est d’ailleurs qualifiée d’« œuvre en soi », si cette citation n’évoque pas grand chose en début de visite, elle prendra tout son sens une fois sortis.
Sortons de l’ordinaire, je commencerai par la fin car, en réalité, on ne sort pas vraiment de l’œuvre de David Altmejd. En effet, chaque élément observé, vu ou simplement aperçu s’accroche à l’esprit comme autant de cristaux plantés dans les crânes de ces étranges personnage. L’œuvre d’Altmejd est foisonnante. Il y a foisonnement des matières, des thèmes, des possibilités, des points de vue. Ces sculptures exigent un perpétuel changement de pied, la focale parfaite n’existe pas et l’omniprésence des miroirs, dans les œuvres comme autour, rend notre perception très instable. Altmejd évoque les hommes, de loin seulement, dans une humanité perdue qui se rêve et se souvient de ce qu’elle était ou sera. Ces lambeaux d’humanité permettent au visiteur de ne pas fuir au premier coup d’œil car la dureté et la violence fusionnent avec la bienveillance et l’humour dans ces mondes où le regard anime des œuvres en mouvement. Les vastes boîtes de plexiglas renferment des galaxies de curiosités rassemblées par un ethnologue méticuleux et deviennent des théâtres d’anatomie d’où s’échappe une vie renouvelée. Altmejd joue avec brio sur les ambiguïtés et les frontières au point que nous en confondions le dedans et le dehors, repère pourtant essentiel.
Sous ce foisonnement apparent, c’est pourtant l’unité qui domine. La marque des grands esprits est justement de savoir laisser une trace, d’explorer sans cesse tout en accumulant des strates d’expérience. Ces différentes couches sont évidentes et à la profondeur de l’expérience esthétique que nous fait vivre l’œuvre, répond son épaisseur et sa richesse. Nous ressentons physiquement chaque geste que l’artiste a effectué sur ses sculptures, et il parvient même à faire de ce geste une sculpture en elle-même, voire un écrin pour son œuvre (vous verrez). Des figures nous deviennent peu à peu familières. Elles reviennent au cours de notre traversée comme pour accompagner notre progression et donner au regard un îlot salutaire dans ces mises en scène tonitruantes. C’est que nous sommes quelquefois assourdis par la lumière crue qui transperce les œuvres d’Altmejd. L’œil hésite à suivre le fil sorti de la bobine comme dans un jeu de piste, à moins qu’il ne tente d’embrasser l’ensemble du monde palpitant qui s’offre, mais jamais ne se donne. Il revient donc à chacun d’explorer les univers d’Altmej, car aucune photo ni discours ne saurait leur être fidèle.
Informations pratiques :
Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris
11 avenue du Président Wilson (16e arrondissement)
Jusqu’au 1er février 2015
Du mardi au dimanche de 10h à 18h
Nocturne le jeudi jusqu’à 22h
Plein tarif : 7 € / Tarif réduit : 5 €
Illustration : Detail of: The Flux and The Puddle – 2014 – Photograph by James Ewing © David Altmejd, Image courtesy of Andrea Rosen Gallery, New York
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