Il y a cent ans, le 9 novembre 1918, le grand poète Guillaume Apollinaire disparaissait, terrassé par la grippe espagnole. Ce centenaire est l’occasion de revenir sur l’histoire des célèbres Lettres à Lou qui comptent probablement parmi les plus belles lettres d’amour de la littérature française.
L’histoire commence le 27 septembre 1914 : Apollinaire rencontre Louise de Coligny-Châtillon à l’occasion d’un déjeuner dans un restaurant de Nice. Immédiatement il tombe sous son charme, dès le lendemain il lui écrit :
« Vous ayant dit ce matin que je vous aimais, ma voisine d’hier soir, j’éprouve maintenant moins de gêne à vous l’écrire. Je l’avais déjà senti dès ce déjeuner dans le vieux Nice où vos grands et beaux yeux de biche m’avaient tant troublé que je m’en étais allé aussi tôt que possible afin d’éviter le vertige qu’ils me donnaient. »
Mais celle qu’il surnomme Lou n’est pas prête à lui accorder ses faveurs, si bien qu’abattu par ses dérobades, Apollinaire s’engage volontairement dans l’armée. Louise le rejoint pourtant une semaine à Nîmes où il fait ses classes mais encore très attachée à un autre homme, elle rompt avec Apollinaire à la veille de son départ pour le front en mars 1915, en se promettant de rester amis.
Apollinaire et Lou nourrissent une abondante correspondance jusqu’en janvier 1916 car le poète, comme beaucoup d’autres poilus, écrit beaucoup pour garder le moral. Ce sont ces nombreux courriers qui donneront naissance aux Lettres à Lou, des lettres parfois très romantiques, parfois érotiques mais toujours d’une grande beauté. Il y exécute également quelques calligrammes comme celui-ci en forme de palmier que l’on a pu retrouver chez Sotheby’s en 2014 :
Je vous salue Lou comme fait votre arbre préféré le palmier
du grand jardin marin soulevé comme un sein
Votre chevelure pareille au sang répandu
Mourir et savoir enfin l’irrésistible Eternité
Oliviers vous battiez ainsi que font parfois ses paupières
Par ce livre dur et précis dans la joie
apprenez ô Lou à me connaître afin de ne plus m’oublier
mais perché sur l’abîme je domine la mer comme un maître
et je place ici même malgré vous votre pensée la + secrète.
Dans cette correspondance, Apollinaire affiche une obsession : confectionner pour Lou une bague à partir d’un éclat d’obus, « taillée dans un métal d’effroi ». Il l’évoque pas moins de trente fois dans les Lettres à Lou ! Il écrit le 7 avril 1915 « On passe le temps à faire des bagues. Envoie-moi la mesure de ton annulaire pour te faire une bague » ; puis le 10 avril « Il faut que je reçoive, ô mon Lou, la mesure exacte de ton doigt car je veux te sculpter une bague très pure dans un métal d’effroi ». Il finit par créer cette bague sur laquelle il inscrit son amour « Gui aime Lou » et qu’il envoie à son adorée.
Le 17 mars 1916 il est blessé à la tempe et évacué sur Paris. Il est trépané et entame une longue convalescence. Il ne reverra Lou une dernière fois que vers 1917 / 1918 avant de décéder le 9 novembre, deux jours avant l’armistice. Il est enterré au cimetière du Père-Lachaise tandis qu’ironiquement tout Paris crie “A mort Guillaume !” faisant référence à Guillaume II d’Allemagne qui vient d’abdiquer.
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Mais l’histoire d’Apollinaire et de Lou ne s’arrête pas là. Après la guerre, André Rouveyre parent de Lou et proche d’Apollinaire écrit un article sur les dernières années du poète. Émue par ce récit, Lou adresse en 1920 un courrier à Rouveyre dans lequel elle confie ses regrets :
“La mort qui empêche à jamais les amis de se réconcilier – est une chose horriblement triste ! Il t’a parlé de l’inconstance de mon amitié – je lui ai fait de la peine parce que je ne l’ai pas compris… il y avait un trop grand abîme entre sa mentalité et celle dans laquelle j’avais vécu jusque là… Plus tard avec plus d’expérience de la vie, nous nous serions rapprochés j’en suis sûre – nous devions être des amis ! Seulement il y avait les premières incompréhensions à vaincre… »
En 1940, Lou offrira la fameuse bague à André Rouveyre, « celle que j’aimais mais qui est très abîmée » lui écrira-t-elle. Rouveyre la fait insérer dans une bague en or, portant une plaque en or jaune avec l’inscription « Gui aime Lou ».
Les Lettres à Lou ont été rassemblées dans un recueil à retrouver aux éditions Gallimard.
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