Sur le marché de l’Art, au détour de certaines ventes, on voit parfois des pièces exceptionnelles sortir des collections particulières. Elles s’exposent quelques jours au grand public en attendant de changer de propriétaire, un rendez-vous qu’il ne faut pas louper puisque les chances de les voir à nouveau sont bien maigres.
En amateur de littérature, ce sont surtout les ventes de livres et manuscrits qui attirent mon attention. Au-delà de l’objet qui porte à lui seul une charge émotionnelle très forte “iiiih Saint-Exupéry a touché cette feuille” “anh ça a appartenu à Baudelaire” (!)… les manuscrits sont les témoins d’histoires tantôt romantiques, tantôt tragiques, souvent bouleversantes.
Dans les locaux de Sotheby’s, une nouvelle vente se prépare pour ce 18 décembre avec pas moins de 180 lots. Le catalogue qui accompagne cette vente ne se contente pas de lister les oeuvres qui défileront devant le marteau du commissaire priseur : il apporte de nombreuses informations sur le contexte qui a entouré leur création, de quoi découvrir quelques anecdotes touchantes.
Cinq lots ont particulièrement retenu mon attention : une carte de la Lune qui cache une déclaration d’amour ; une lettre de Lou (celle qui est devenue immortelle dans les célèbres Lettres à Lou d’Apollinaire) ; une touchante lettre de Baudelaire pour sa mère ; une dédicace de Saint-Exupéry et un dessin de Sempé. Je passe donc sur les livres qui, malgré leur beauté, n’ont pas à mes yeux cette valeur émotionnelle dont sont chargés les manuscrits.
Une carte de la Lune pour déclarer son amour
Jean-Dominique Cassini a passé huit années à observer la Lune pour pouvoir présenter en 1679 cette gravure à l’Académie des Sciences. Un document rare et précieux puisque seuls six exemplaires sont connus à ce jour.
A priori, cette carte de la lune est banale… a priori seulement car ce document scientifique cache une déclaration d’amour ! Dans la mer de la Sérénité figure un grand cœur et, dans un coin, on peut distinguer un visage de femme. Tout porte à croire qu’il s’agit du visage de Geneviève de Laistre, épouse de Cassini.
Comme quoi, science et romantisme ne sont pas toujours incompatibles !
Quand Baudelaire a peur de faire un fiasco
Le poète a fait l’objet de nombreuses critiques dès 1857 pour les Fleurs du Mal qui lui vaudra une condamnation pour “outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs”.
Dans cette lettre datée du 18 mai 1860, Charles Baudelaire écrit à sa mère. Il lui fait part de ses soucis d’argent puis lui confie, à propos des Paradis Artificiels, “J’ai peur de faire un fiasco avec mon livre”.
Cette lettre laisse également transparaître son amour pour sa mère : “Te portes-tu bien ? Pour moi, la chose suprême, c’est cela : c’est-à-dire : toi, te portant bien”.
Lou, mélancolique, regrette son comportement vis-à-vis d’Apollinaire
Le 27 septembre 1914, Guillaume Apollinaire fait la rencontre de Louise de Coligny-Châtillon (dite Lou) dont il tombe de suite amoureux. Abattu par les dérobades de cette dernière il s’engage volontairement dans l’armée. Vexée par ce départ, Lou part le rejoindre à Nime – où il fait ses classes – et s’enferme avec lui pendant dix jours dans un hôtel. Malgré la passion de cette histoire, Lou s’éloigne peu à peu. Apollinaire part sur le front en avril 1915 mais ne parvient pas à oublier celle qu’il aime. Il lui écrit de nombreuses lettres (les célèbres Lettres à Lou dont certaines étaient en vente chez Sotheby’s en septembre dernier) et lui confectionne même une bague à partir d’un éclat d’obus, “taillée dans un métal d’effroi”, sur laquelle il inscrit “Gui AIME LOU”.
Blessé en 1916 à la tempe, Apollinaire est évacué à Paris. Il reverra Lou une dernière fois vers 1917/1918 avant de décéder des suites de ses blessures, quelques jours avant l’armistice.
Sotheby’s met ici en vente une lettre de Lou, adressée en 1920 à André Rouveyre, l’un de ses parents qui était aussi un proche d’Apollinaire. Elle réagit à un article de Rouveyre racontant les dernières années d’Apollinaire. Emue par ce récit, elle se montre mélancolique, évoque quelques regrets et confie : “La mort qui empêche à jamais les amis de se réconcilier – est une chose horriblement triste !”. Cette lettre apporte un autre éclairage sur Lou dont l’histoire avec Apollinaire la montrait plutôt froide et frivole.
On trouve également dans cette vente la fameuse bague “Gui AIME LOU”.
Saint-Exupéry, incertain de l’avenir
En 1940, Antoine de Saint-Exupéry fait parvenir à René Gavoille un exemplaire dédicacé de Terre des Hommes. Le lieutenant Gavoille était l’instructeur de Saint-Exupéry dans le groupe de reconnaissance 2/33 en 1933 avant de devenir son chef d’escadrille. Il écrit cette dédicace lors de sa démobilisation qui fait suite à l’armistice du 22 juin 1940 et dessine un personnage avec la mention “ça c’est moi démobilisé et incertain de l’avenir”.
Gavoille était aussi le parrain du fils de Saint-Exupéry et c’est sous ses ordres que le célèbre écrivain / aviateur disparaîtra le 31 juillet 1944.
Sempé, cycliste bravant les interdits
Dans un tout autre registre, on découvre dans cette vente une petite dizaine de dessins originaux de Sempé. Un artiste que j’adore tant il arrive à capter les petites maladresses et mesquineries du quotidien.
J’ai un faible pour le dessin d’un cycliste, seul dans la nuit. Sempé confiait : “Le rêve de ma vie, quand j’étais enfant, c’était de posséder un vélo. (…) Le vélo, pour moi, c’est la vraie liberté. Si on est prudent, on peut prendre les sens interdits, monter sur les trottoirs, ignorer quelques règles. J’aime bien ignorer les règles…” (Sempé Un peu de Paris et d’ailleurs, Editions Martine Gossieaux, 2011).
Il y a bien d’autres documents exceptionnels à découvrir dans cette vente : Proust, Picasso, Matisse, Mallarmé, Joyce, Dali, Camus… font partie des grands noms à aller saluer. Pièce maîtresse de la vente : un manuscrit de 351 pages du Maréchal Pétain sur la guerre de 14-18 estimé à 250 000-350 000 €.
Je ne peux donc que vous encourager à aller voir l’exposition avant que le commissaire priseur éparpille ces lots dans diverses collections.
Informations pratiques :
Sotheby’s Paris
76 rue du Faubourg Saint-Honoré (8e arrondissement)
Exposition avant-vente les 13, 15, 16, 17 décembre 2014, de 10h à 18h
Vente le 18 décembre à partir de 14h30
Entrée libre
Plus d’informations sur la vente
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