Au travers des meurtrissures de l’histoire récente, le travail de ce photographe exigeant place le regard à l’opposé de la profusion d’images à laquelle nous habitue l’actualité. Il nous amène à aller à l’essentiel. Se présentant en deux parties à la fois distinctes et complémentaires, l’exposition proposée par le BAL, centre d’art dédié à la photographie et à l’image-document que nous affectionnons particulièrement, offre une vision particulièrement juste du travail de Stéphane Duroy.
Quasiment toutes en noir et blanc, ou bien jouant d’un effet léger et subtil des couleurs, ses images offrent une vision quasi métaphysique de la photographie documentaire, qui amène à s’interroger sur ce qui fait l’humanité, malmenée au gré des événements aléatoires et souvent cruels de l’Histoire. Obstinément, le photographe garde son œil rivé à la détresse humaine ; il examine sans détour le quotidien des ouvriers de Grande-Bretagne, la chute du mur de Berlin, les traces de la Grande Guerre à Douaumont. Il se dit être « affecté par l’Histoire », « non pas pessimiste mais lucide ».
Situant sa démarche d’enquêteur du réel entre l’Europe et les États-Unis, l’artiste qui interviendra de manière imprévisible tout au long de l’exposition, notamment par des phrases écrites de sa main directement sur les murs, conçoit cette présentation comme un projet en soi. Aimant à revenir sur son travail, jusqu’à l’épuiser, il a proposé ici de reprendre L’Europe du silence, un travail initié dans les années 1980 et déjà montré en 2014 en Corse au Centre Méditerranéen de la Photographie. Occupant le premier étage, cette partie nous renseigne avec sobriété et éloquence sur les événements historiques et leurs traces, des édifices rescapés des guerres tels les camps concentrationnaires aux visages burinés des travailleurs britanniques, marqués par les ravages du thatchérisme.
Au sous-sol, grâce à la scénographie adaptée de cette exposition intitulée Again and Again, un autre chapitre de la photographie selon Stéphane Duroy s’ouvre à nous. Il revient ici sur ses images déjà prises d’une manière étonnante : par le livre. Il découpe, décompose, recompose pour mieux révéler la matière plastique de ses photographies. Tout se passe comme si l’auteur-photographe était parvenu aujourd’hui à un point de non-retour, où il n’y aurait plus d’images à produire mais uniquement à repenser. C’est ce qu’il fait dans son livre Unknown, paru en 2007 et dont il existe vingt-neuf variations uniques et différentes, où l’épure semble avoir une dimension salutaire, ainsi que dans Distress, l’œuvre-livre parue en 2011.
Dans cette section focalisée sur le volet états-unien du travail de Stéphane Duroy, le spectateur prend toute la mesure de l’ambition son ambition : montrer l’exil en chacun, au travers de son quotidien. Qu’il soit exposé à la pauvreté, aux migrations imposées du travail saisonnier, à une urbanité mal pensée, chacun à affaire à une commune brutalité. La photographie nous permet en l’occurrence de prendre conscience de cette condition, de s’y confronter, pour enfin la dépasser. Le texte, – celui des panneaux ou bien les phrases en bandeau le long des cimaises – joue alors un rôle essentiel. Nous avons retenu cette phrase de Kafka : « On photographie des choses pour se les chasser de l’esprit. Mes histoires sont une façon de fermer les yeux. »
Chez celui qui a pourtant d’abord été photographe de presse ne se retrouvent ni la grandiloquence du reportage à sensation ni la quête stricte d’une perfection esthétique. Stéphane Duroy ne s’embarrasse pas du superflu. Il tente avec modestie de nous guider vers plus de vérité ; il le fait sans jamais se détourner de la réalité, la plus dure soit-elle, et non sans poésie. Nous retenons enfin cette phrase de Bertold Brecht insérée dans Unknown qui nous paraît élucider en partie le mystère Duroy :
«Des empires s’écroulent.
Les chefs de bande
Paradent en jouant les hommes d’État.
Les peuples disparaissent, invisibles sous les armements.
Ainsi l’avenir est dans la nuit… »
Traverser les désenchantements collectifs récents pour mieux éprouver notre lucidité et notre capacité à y faire face, voilà ce que nous propose l’artiste au regard sans concession.
Informations pratiques
Du 6 janvier au 9 avril.
LE BAL
6, impasse de la Défense, Paris 18e
Tarif plein : 6 € / Tarif réduit : 4 €
Conditions de réduction et de gratuité sur le site du BAL.
Pas de commentaires
Laisser un commentaire Cancel