La réalité figée d’un monde contemporain n’existe pas, elle est modulable, et c’est ce que nous prouvent les deux lauréates du Salon de Montrouge, ainsi que la gagnante du Prix du Conseil Général des Hauts-de-Seine, présentées ensemble au Palais de Tokyo.
Tout d’abord, un nom est à retenir. Et s’il fait immédiatement écho à celui d’une autre artiste femme bien connue, Annette Messager, il y a fort à parier qu’il existera suffisamment fort dans les années à venir pour se dégager de tout autre référent. Il s’agit en l’occurrence du nom de Louise Pressager. La création contemporaine se trouve, avec elle, particulièrement bien représentée.
Tout y passe chez cette artiste : dénonciation de la psychiatrisation, de la colonisation occidentale, d’une société encore et toujours patriarcale (un merveilleux punching-ball vous surprendra, nous vous laissons la joie de le découvrir)… Le fou, l’Indien et les inadaptés deviennent les figures centrales de la société actuelle, vue par un prisme cruellement ironique. Le passage par ces marginalités nous autorise à faire ce pas de côté qui nous donne à voir la réalité au mieux, en prenant cette distanciation en général nécessaire. L’aspect ludique de son oeuvre protéiforme (installations, vidéos …) permet de mettre en perspective à la fois la condition humaine et de mettre en jeu la représentation de thèmes traditionnels de l’histoire de l’art. On rit devant la recréation de la Cène où la Mort, figure marylinmansonienne grotesque, a pris la forme de la croix du Christ et lui propose un déjeuner sur l’herbe avant de le serrer très fort dans ses bras !
Gingmei Yao, ex-aequo pour le Prix Spécial du Salon de Montrouge avec la première artiste citée, quant à elle, se fait archéologue du capitalisme actuel, en professeure ironique, elle nous explique, au tableau, faisant fi de la toile, par les images mouvantes de ses vidéos, l’absurdité de la valeur qu’a acquise de nos jours l’argent. La critique chez elle se mêle à la performance, à la prise de risque ; elle va à la rencontre des gens dans la rue, un billet de banque à la main pour les mettre face à la vacuité de ce bout de papier : elle fait irruption dans les quotidiens bien réglés. Enfin, elle vendra aux enchères le billet froissé qu’elle a érigé en sculpture, transcendé par l’acte créateur. L’art actuel, ainsi ridiculisé en soi tire pourtant toute sa vitalité de ces courageuses mises en abyme.
S’ajoutent à ces installations et vidéos, les oeuvres liminaires de Chan Aye, invitée d’honneur dans le cadre du partenariat du Palais avec la Fondation Total. Elles nous avaient doucement introduit à l’exposition, aux marches de l’espace consacré aux créations de ces deux premières artistes ainsi qu’à celles de Virgine Goubaud. L’expérimentation de la lumière comme matière chez cette dernière répond aux « aurores » de Chan Aye.
Se profile alors sous nos yeux une autre forme de critique de la société par une retranscription ésotérique des forces spirituelles du monde actuel, – vision empreinte d’un radicalisme tout en douceur. Au lieu d’être grandiloquentes, les oeuvres de papier jouent la modestie, apportent la lumière, dans un acte de foi dans l’art qui force la tendresse universelle, et l’invite à se répandre au travers de la création. On l’aura saisi, une fois n’est pas coutume : les femmes, généralement reléguées au second plan de l’art contemporain, au rang de muse, d’objet de contemplation ou de miroir des projections masculines, ont pour l’heure enfin voix au chapitre.
Le parcours imposé par les Modules, exigeant par sa qualité et sa diversité, mais plein d’une grande simplicité, nous offre un panorama très accessible de l’art contemporain. Il faut bien l’avouer, cela n’est pas toujours le cas et cette programmation se révèle donc tout à fait exemplaire et réussie. En tant que visiteur, on évolue toujours au Palais de Tokyo dans l’espoir, – en s’y perdant toujours, dans le labyrinthe des espaces souterrains, renouant avec le fil de l’exposition qu’on est venu voir -, de trouver quelque chose qui nous secoue, qui ressemblerait à une vérité de notre monde.
Si vous vous y promenez, un dimanche avant minuit ou un après-midi de grisaille, il y a de fortes chances pour que vous vous retrouviez nez-à-nez avec ces créatrices qui s’y exposent actuellement… Elles vous surprendront certainement, renversant vos perspectives, bouleversant certaines certitudes, bousculant des préjugés acquis… Et vous emporterez dans votre coeur un peu du monde actuel cristallisé en stalactites plastiques. Une compréhension étrange et aiguë de ce qui vous entoure se fera peut-être jour dans votre esprit. Une chose est sûre, l’installation de ces « modules » tient le pari tout à la fois de nous séduire, de nous surprendre et de nous faire réfléchir.
Informations pratiques :
Palais de Tokyo
13 Avenue du Président Wilson (Paris 16e)
Jusqu’au 11 janvier
De midi à minuit tous les jours, sauf le mardi
Plein tarif : 10 € / Tarif réduit : 8 €
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