Résumé :
Marie Richeux anime Pas la peine de crier sur France Culture. En milieu d’émission, elle consacre quelques minutes au Polaroïd : la lecture, associée à une musique, d’un court texte dont elle est l’auteure, créant ainsi une image sonore chez l’auditeur.
Ce livre regroupe une sélection d’une soixantaine de ces textes, à consommer sans aucune modération.
Avis :
Pour moi, Marie Richeux est avant tout la magnifique voix qui, grâce aux podcasts, accompagne quelques-unes de mes déambulations dans Paris. Alors quand j’ai appris que certains de ses Polaroïds étaient publiés, je ne voulais pas passer à côté : les lire étant une façon de les voir sous une autre approche mais aussi de découvrir quelques histoires que j’avais pu louper.
Quand on me dit « Polaroïds », je pense à ces photos instantanées, aux couleurs légèrement délavées, qui se dévoilent petit à petit. Mais Polaroïd c’est aussi se polariser, c’est-à-dire s’intéresser à une chose en particulier ou, comme le dit le quatrième de couverture « s’approcher, se pencher, donner sa place au minuscule ».
Toutes ces petites histoires ont cet effet là : en deux pages elles nous dévoilent un morceau de vie, de la même façon qu’une photographie pourrait apparaître devant nos eux. Polaroïds nous plonge donc dans une expérience de lecture assez inédite puisqu’il s’agit de se polariser sur un moment, d’orienter toute sa concentration sur une histoire puis la laisser se dessiner dans notre esprit avant de passer à la suivante.
Il serait cependant dommage de s’arrêter à cette lecture. Marie Richeux écrit mais comme je vous le disais, c’est aussi (surtout ?!) une voix à écouter encore et encore. Alors si l’un de ces textes vous plaît, cherchez le podcast sur le site de France Inter, armez-vous de vos écouteurs, fermez les yeux et laissez l’image du Polaroïd se dévoiler dans votre esprit !
Extraits :
Extrait 1/3
C’EST COMME RETOURNER LE SABLIER et piétiner d’impatience, regarder le sable passer de l’autre côté et considérer qu’il va lentement. C’est comme allumer une cigarette après avoir éteint l’autre, consumer tout trop vite et trouver que cela va lentement.
C’est un peu de soleil trop tôt dans les persiennes, c’est la hâte au cœur, l’heure de la piscine, l’heure de la patinoire, c’est comme le jour d’anniversaire. C’est comme d’avoir onze ans deux fois, c’est comme trouver le bon accord, la bonne note. C’est l’herbe dans la bouche.
C’est comme une danse impossible à réduire. C’est comme une transe impossible à tenir. Ce sont les trottoirs mouillés de la ville à poil, la voix aiguë de ce taxi, ces rêves en boucle par téléphone, c’est comme le nom qui s’affiche, ton nom qui s’affiche, c’est la voix mouillée par téléphone.
C’est comme le soleil venu trop tôt dans les persiennes. Avoir onze ans. C’est comme avoir mille fois onze ans. C’est comme tout débrancher en kickant la prise. C’est trouver l’énergie du tour de piste et agrandir la piste, encore. C’est comme retourner le sablier, l’autre sens, et trouver que le sable va lentement.
22 juin 2012
Extrait 2/3
VIENS UN PEU PLUS PRES. Je peux pas te parler si tu te mets loin, mets-toi sur le matelas. Mets-toi dans la lumière. Enlève ton t-shirt, je peux pas te parler si je vois pas tes seins. Prends de l’alcool sur ma langue, je peux pas te parler si t’es pas saoule. Mais sois pas absente, c’est moi qui m’évapore. Je peux pas te parler si j’ai pas bu. Viens juste à côté de moi, que je te regarde avant de m’éclore. Je dois te dire. J’ai un amour qui vient de se coincer en arête dans ma gorge? Tu vois dehors ? C’est beau dehors. Bah je t’aime elle, comme ça. Tu vois dehors comme c’est étrange, la lumière qui vient jusqu’à nous ?
Bah je t’aime, comme ça, elle. Je t’aime toi. Je l’aime elle. Et elle c’est pas toi.
Viens plus près encore. Je peux pas te parler si tu vois pas mes cernes, si tu touches pas mon ventre. Je veux que tu connaisses mon âge. Je veux que tu saches le pli dans mon dos. Ca te va bien d’être assise sur mon drap. Je veux que tu dises rien. Je veux que tu ne répètes pas. Viens plus près. Enlève ton jean. Je peux pas te parler si t’es pas nue, mais tu auras raison de rire tout à l’heure, quand tu te souviendras de moi. Je suis tombé amoureux d’une femme qu’est pas ma femme, et je te demande de ne pas lui dire. Tout à l’heure quand tu partiras, parce que tu vas te lever, puis tu vas partir. Tu auras raison d’en sourire. Je te demande ça aussi.
19 septembre 2012
Extrait 3/3
CETTE MAISON REPOND A L’IDEE que l’on se fait d’une maison. Elle est conforme.
Elle est comme il faut peinte de dehors.
Elle est comme il faut décorée du dedans. Une musique dans le poste qui ne va pas trop fort, pas trop lent, remplit entièrement l’air.
Il y a un arbre au milieu du petit terrain qui va, lui aussi, comme il faut, des racines et des ailes, vous voyez.
A cet arbre, deux cordes.
Comme personne n’a voulu se pendre, on en a fait une balançoire et depuis qu’un môme a décidé de naître, depuis quelques années que la famille est ainsi, il se balance dessus. Quotidiennement.
Il est vieux maintenant. Douze ans, ce n’est pas un accident de grandir, ce n’est plus innocent, il se balance jusqu’à faire couiner les cordes, il se balance sournois, cherchant l’embrouille, poussant tirant sur ses bras, évidemment ce qui doit arriver arrive, la corde lâche, il tombe. Il pleure. Une horrible dégringolade. Alors la mère qui ne quitte pas le carreau de l’évier, accourt, lape les larmes comme une chienne, sort un feutre de sa poche, dessine un corbeau sur le genou blessé, regarde l’enfant avec des yeux qui dansent, le corbeau s’envole, la blessure comme le camembert, coincé dans le bec, tombe.
A douze ans t’es trop grand pour la balançoire.
22 septembre 2011
Interview de Marie Richeux :
Note : A découvrir aussi, le blog de Marie Richeux.
2013 – 158 pages – ISBN : 978-2-84804-154-3
Marie Richeux – Française
Editions Sabine Wespieser
Des personnes ont réagi à cet article
Voir les commentaires Hide commentsje cours l’acheter ! merci pour ce partage 🙂
Sage décision, tu ne le regretteras pas 🙂