François-Marie Arouet, dit Voltaire (1694 – 1778), le plus célèbre philosophe des Lumières, a eu une vie à la fois riche et mouvementée. Enfant brillant mais turbulent, Voltaire multipliera dès son plus jeune âge les mots d’esprit à l’encontre des « Grands » et du pouvoir qui lui vaudront d’être embastillé à deux reprises. Contraint à l’exil, c’est à Ferney, près de la frontière Suisse et à l’abri des puissants, que Voltaire passera ses vingt dernières années. Partons à la découverte de son château, récemment restauré.
Le contexte de l’installation de Voltaire à Ferney
Dès 1736, Voltaire est contacté par le roi de Prusse qui cherche à l’arracher de la cour de France. Frédéric II lui écrit « Continuez, Monsieur, à éclairer le monde. Le flambeau de la vérité ne pouvait être confié à de meilleures mains ». Le philosophe résiste, notamment sous l’influence de sa compagne Emilie du Châtelet qui est méfiante.
En 1749, à la mort de cette dernière, Voltaire plonge dans une profonde dépression. Peu apprécié par Louis XV, il cède à l’appel de Frédéric II et part rejoindre la cour de Prusse en 1750. Mais peu à peu, ses relations avec Frédéric se détériorent ; lorsque Voltaire publie un pamphlet contre le président de l’Académie des Sciences sans l’accord du roi, Frédéric se sent berné et ordonne la saisie et la destruction publique du texte. Dès 1753, Voltaire quitte le pays.
Mais où aller ? Voltaire demande à retourner à Paris mais on lui interdit de rejoindre la capitale de France. C’est alors vers Genève qu’il se replie, la ville étant réputée pour sa tolérance, pour ses banquiers et pour ses éditeurs qui ne subissent pas la censure française. Il y achète la maison des Délices et y mène très vite grand train. Mais le philosophe déchante : cette ville qu’il croyait être la patrie de la Liberté censure ses ouvrages et il est interdit de théâtre. Il doit par ailleurs se méfier des pasteurs genevois qui lui recommandent de ne rien publier sur la religion mais en 1757, un scandale éclate lorsque d’Alambert publie le texte « Genève », inspiré par Voltaire, où il écrit :
« On se plaint moins à Genève qu’ailleurs des progrès de l’incrédulité, ce qui ne doit par surprendre ; la religion y est presque réduite à l’adoration d’un seul Dieu, du moins chez tout ce qui n’est pas peuple : le respect pour J.-C. et pour les Écritures sont peut-être la seule chose qui distingue d’un pur déisme le christianisme de Genève. »
Voltaire sent qu’il doit partir pour trouver son indépendance. Toujours indésirable dans la cour de France, il part s’installer à Ferney qui cumule de nombreux avantages. La ville est en effet située en France, à la frontière de la Suisse (à seulement 4km de Genève), mais jouit d’une certaine autonomie qui le préserve des tracasseries de Versailles.
C’est ainsi qu’en 1758, alors âgé de 65 ans, Voltaire se porte acquéreur du château de Ferney. Il y passera ses vingt années les plus fécondes et va profondément transformer la ville.
Le château de Ferney-Voltaire
Le 9 février 1759, l’acte de vente est conclu, au nom de sa nièce, Madame Denis. Mais dès 1758, Voltaire fait reconstruire entièrement le château par l’architecte Jean-Michel Billon. Les ruines de l’ancien château fort du XIIe siècle sont détruites pour y établir une « maison commode, rustique et confortable ». Les travaux prennent fin en 1762 avant de reprendre en 1765 pour agrandir le château afin d’accueillir les nombreux visiteurs qui viennent voir le philosophe. C’est donc en 1766 que la demeure prend son aspect définitif.
Mais Voltaire ne se contente pas de construire le château, il entreprend de créer à Ferney la ville idéale. Il aménage la seigneurie (drainage de la plaine, création de puits, fabrication de maisons…) et favorise l’artisanat d’art comme l’horlogerie et la soierie, si bien que le modeste hameau de 150 âmes en compte plus de 1 200 à la mort de Voltaire !
Visite du château
Le bâtiment est organisé symétriquement autour de l’entrée. Dans le vestibule, on trouve les statues de Rousseau et de Voltaire qui représentent, malgré leur inimitié, les précurseurs des idées de la Révolution.
A gauche, dans l’antichambre, les visiteurs patientaient avant d’être reçus par Voltaire. Actuellement, on peut y voir des représentations du domaine. La grande salle, orientée Sud-Est, était initialement constituée de deux pièces : la salle à manger et la bibliothèque – cabinet de travail de Voltaire. Remaniée au XIXe siècle, on y présente aujourd’hui le domaine ainsi que l’œuvre de Voltaire.
Le cabinet des tableaux était auparavant la chambre de Voltaire. On peut désormais y voir quelques « voltériades », des tableaux commandés par Voltaire où il montrait qu’il s’inquiétait des petites gens. Ces tableaux étaient diffusés hors du château pour valoriser l’image du philosophe.
Le salon d’axe ainsi que la chambre-mémorial qui se font suite, ont été réaménagés après la mort de Voltaire en lieu de souvenir. On y trouve notamment le monument du cœur de voltaire portant l’inscription « Son esprit est partout et son cœur est ici ». Initialement, la chambre-mémorial servait de cabinait de peinture et de billard à Voltaire. A sa mort, son lit devint une véritable relique dont les visiteurs découpaient et emportaient des morceaux. Aujourd’hui, le lit a été restauré et y est restitué.
L’aile Nord s’ouvre sur les appartements de Madame Denis, la nièce et compagne de Voltaire. Ces appartements sont constitués de deux pièces : le salon où elle recevait ses invités, puis sa chambre à coucher. Dans le salon se trouvent les portraits de Catherine II et Frédéric II de Prusse, offerts à Voltaire, et qui rappellent que ces deux souverains ont protégé le philosophe.
L’étage, bien que restauré, n’est pas accessible au public car non meublé. Il est construit sur le même schéma que le rez-de-chaussée.
Le sous-sol abritait les communs (cuisine, garde-manger, bûcher, lavoir, fruiterie). Aujourd’hui une partie est consacré aux expositions temporaires.
Dans le domaine, Voltaire aménage un parc depuis lequel on peut apercevoir les Alpes par temps clair. Dans une ancienne grange, il aménage un théâtre où il donne de multiples représentations. A l’arrière du château, un jardin à la française et la charmille permettent à Voltaire de se reposer. Il cultive aussi un potager, un verger, une vigne et entretient une carpière.
Face au château se trouvait l’église paroissiale de Ferney. Voltaire avait souhaité la déplacer pour tracer une avenue face à sa demeure mais face à l’opposition du clergé il dut abandonner cette idée. A défaut, il reconstruisit l’église et la dédie modestement « Pour Dieu, par Voltaire » (!). Sur le mur Sud, il se prépare un tombeau en forme de pyramide.
Le château après la mort de Voltaire
Voltaire ne va pourtant pas mourir à Ferney mais à Paris. En 1778, les autorités acceptent qu’il revienne à la capitale pour assister aux répétitions de sa dernière tragédie. Il reçoit alors un triomphe que ce soit à l’Académie, à la Comédie Française ou dans les rues de Paris. Mais notre philosophe est déjà bien malade, atteint d’un cancer de la prostate en phase finale, il décède le 30 mai chez son ami le marquis de la Villette. En attendant un transfert du corps à Ferney, Voltaire est enterré provisoirement dans l’abbaye de Sellières.
La nièce de Voltaire, Madame Denis, est sa légataire universelle. Elle vend la bibliothèque à Catherine II et le château au marquis de la Villette. Mais celui-ci s’aperçoit vite que le domaine de Ferney est déficitaire et le revend en 1785, rendant désormais impossible le retour du corps de Voltaire.
Finalement, le 30 mai 1791, soit trois ans jour pour jour après sa mort, l’Assemblée constituante décide de transférer les restes de Voltaire dans le tout jeune Panthéon qui vient d’être créé en lieu et place de la basilique Sainte-Geneviève. Voltaire est le deuxième panthéonisé, quelques jours après Mirabeau mais ce dernier, grande figure de la Révolution, est exclu du Panthéon trois ans plus tard suite à la découverte de documents révélant qu’il avait pris contact clandestinement avec le Roi. Voltaire devint donc le plus vieil occupant du Panthéon. Le cerveau du philosophe est conservé à la Comédie Française tandis que son cœur, malgré la présence du monument au cœur à Ferney, est conservé au site de Richelieu de la Bibliothèque Nationale de France.
Quant au château, il sera mis en scène par le marquis de la Villette qui orchestre le culte posthume de Voltaire. Il passe ensuite dans les mains de la famille Budé puis est vendu en 1845 à M. Griolet, qui en transforme la distribution initiale en faisant abattre plusieurs cloisons. Déclaré en faillite en 1847, il est contrait de le vendre à Claude-Marie David-Missilier qui achète également les terres pour reconstituer les domaines. Il s’attache par ailleurs à retrouver les meubles et tableaux ayant appartenus au Philosophe. Son gendre, le sculpteur Emile Lambert, hérite du château qui restera dans sa famille jusqu’en 1999, date à laquelle ses descendants le cèdent à l’Etat. Depuis, le château de Voltaire est géré par le Centre des Monuments Nationaux.
La restauration du château
Ces dernières années, le Centre des Monuments Nationaux a mené une campagne de restauration d’envergure sur l’ensemble du château : les toitures ont été restaurées ; les parties les plus altérées de la façade ont été remplacées ou nettoyées ; les menuiseries ont été restaurées ou remplacées ; deux fenêtres murées ont été réouvertes et la véranda a été restaurée.
A la mort de Voltaire, l’impératrice de Russie Catherine II souhaitait bâtir une réplique du château de Voltaire. A cette fin, elle commanda au valet de chambre de Madame Denis la réalisation d’une maquette. Cette dernière reprend jusqu’aux motifs des papiers peints et a été une source d’information unique pour restaurer le château tel qu’il était à la fin du XVIIIe siècle. Le rez-de-chaussée rend à la demeure sa dimension voltairienne, notamment au travers de la présentation de plusieurs objets ayant appartenu à Voltaire. Plusieurs dispositifs numériques permettent par ailleurs de découvrir la vie et l’oeuvre du philosophe.
Visiter le château de Ferney Voltaire
Le château de Ferney Voltaire est facilement accessible en transports en commun. Depuis Paris, il vous suffit de prendre le TGV Lyria qui vous emmène à Genève en 3 heures. De là, un bus vous permet de rejoindre Ferney en une vingtaine de minutes seulement.
Si vous êtes en voiture, profitez de votre passage dans la région pour rejoindre Bourg-en-Bresse et visiter le magnifique Monastère Royal de Brou dont les travaux de restauration viennent de s’achever.
Merci au Centre des Monuments Nationaux, au TGV Lyra et à la ville de Genève qui nous ont permis de découvrir ce magnifique monument. Merci tout particulièrement à Baptiste et Polina pour l’organisation de ce voyage et à François-Xavier Verger, administrateur du château passionné et passionnant.
Informations pratiques
Adresse
Château de Ferney-Voltaire
Allée du Château
01210 Ferney-Voltaire cedex
Horaires
Tous les jours, de 10h à 17h
Ouverture jusqu’à 18h du 1er avril au 30 septembre
Site internet
Tarifs
Tarif plein : 8 €
Tarif réduit : 6,5 €
Des personnes ont réagi à cet article
Voir les commentaires Hide commentsJ’ai apprécié l’article sur Voltaire, qui me l’a rendu plus moderne.
Merci beaucoup Martin, je suis ravi si cet article vous a plu !
De sincères reconnaissances et remerciements aux organismes de l\’état, notamment les arts et monuments, pour celui qui ouvrit les esprits en son temps et qui perdure, pour son oeuvre, pour ce bâti historique magnifique et merveilleux et dont l\’âme de son occupant n\’a jamais quitté.