Culturez-vous
Blog art, culture et voyages

Résumé :

Dès l’enfance, Jeanette Winterson a dû apprendre à mener sa vie comme un combat. Faisant face à une mère adoptive sévère ne sachant pas aimer, puis à une société peu ouverte aux différences, il lui sera très difficile de trouver sa voie. Jeanette Winterson livre ici le récit d’une vie, la sienne, difficile mais marquée par une quête : la recherche du bonheur.

 

Avis :

Dès la première phrase du livre, le ton est donné :

Quand ma mère se fâchait contre moi, ce qui lui arrivait souvent, elle disait : « Le Diable nous a dirigés vers le mauvais berceau. »

Jeanette Winterson - Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?On comprend très vite le caractère de cette mère et l’importance que celle-ci accorde à la religion. Jeanette Winterson va grandir dans ce milieu très strict où l’amour de sa mère est remplacé par des leçons de morale oppressantes. Mais Jeanette a au fond d’elle cette petite flamme, cette envie de trouver sa voie et sa dose de bonheur. Elle apprend très tôt à lutter contre son entourage, devenant parfois très (trop) agressive. Jeanette se découvre aussi dans la sexualité et se heurte de nouveau aux diktats sociaux, incapables d’accepter son homosexualité. Elle trouve son repos dans la littérature « La fiction et la poésie sont des médicaments, des remèdes. Elles guérissent l’entaille pratiquée par la réalité sur l’imagination ». Mais les livres ne sont pas les bienvenus chez les Winterson, elle doit d’abord lire en cachette avant de pouvoir – enfin – suivre les études dont elle rêve.

Enfant adoptée, Jeanette s’interroge également sur ses origines et sur le sentiment d’abandon dont elle a été victime deux fois : par sa mère biologique puis par sa mère adoptive qui n’a pas réussi à l’aimer. Après une tentative de suicide elle exprime cette sensation :

N’étais-je pas déjà née deux fois – ma mère perdue et ma nouvelle mère, Mrs Winterson – et cette double identité était en elle-même une sorte de schizophrénie – ce sentiment d’être une fille qui est un garçon qui est un garçon qui est une fille. Une dualité enfouie au cœur des choses.
 
On sent que ce livre est le fruit d’une femme mature qui a eu tout le loisir de réfléchir à son histoire et à son passé. Si le portrait de sa mère n’est pas flatteur, il n’est pourtant pas teinté de haine. Au contraire, on perçoit parfois de la complaisance, peut-être même une forme de pardon.
 
J’ai eu un peu de mal à entrer dans ce livre, je me sentais presque gêné de découvrir l’histoire de cette femme qui m’était inconnue. Et puis, au final, j’ai beaucoup aimé. On est loin du style autobiographique habituel où l’auteur raconte sa vie simplement pour raconter sa vie. Ici Jeanette Winterson a fait un vrai travail d’introspection. Petit à petit, je me suis laissé prendre par son style et ses réflexions très intelligentes et profondes.

 

Extraits :

Extrait 1/7 :

Rechercher le bonheur, je l’ai fait et continue de le faire, n’a rien à voir avec le fait d’être heureux – un état éphémère d’après moi qui est subordonné aux circonstances et un peu bovin.

S’il brille, mettez-vous au soleil – oui, d’accord, très bien. Ces bonheurs-là sont merveilleux, mais ils n’ont qu’un temps – bien obligé – puisque le temps passe.

La recherche du bonheur est plus insaisissable ; elle dure toute la vie et n’est pas tenue par l’obligation de résultat.
Ce que vous cherchez est un sens – une vie qui a du sens. Revoilà le hap – le destin, le sort qui est le vôtre et qui est fuyant, évolue au fil du courant ou vous distribue de nouvelles cartes, la métaphore n’a pas d’importance. Cela demandera beaucoup d’énergie. Il y a aura des moments si terribles que vous y survivrez à peine, et d’autres où vous comprendrez que le gouffre que vous vous êtes choisi vaut mieux que l’existence factice, en demi-teinte, qu’on a choisie pour vous.

 
Extrait 2/7 :
 
Quand les gens disent que la poésie est un luxe, qu’elle est optionnelle, qu’elle s’adresse aux classes moyennes instruites, ou qu’elle ne devrait pas être étudiée à l’école parce qu’elle n’est pas pertinente ou tout autre argument étrange et stupide que l’on entend sur la poésie et la place qu’elle occupe dans votre vie, j’imagine que ces gens ont la vie facile. Une vie difficile a besoin d’un langage difficile – et c’est ce qu’offre la poésie. C’est ce que propose la littérature – un langage assez puissant pour la décrire.

Ce n’est pas un lieu où se cacher. C’est un lieu de découverte.

 

Extrait 3/7 :

La fiction et la poésie sont des médicaments, des remèdes. Elles guérissent l’entaille pratiquée par la réalité sur l’imagination.

J’avais été gravement blessée et un pan essentiel de ma personne avait été détruit – c’était ma réalité, les faits de ma vie ; mais l’envers des faits était ce que je pouvais être, et ce que je pouvais ressentir et si j’avais les mots, les images et les histoires pour l’exprimer, alors je n’étais pas perdue.

 

Extrait 4/7 :

« Dans ce cas, je vais partir… », ai-je dit.

Elle n’a rien répondu. Je suis sortie de la pièce. J’ai traversé le vestibule étroit et sombre, les manteaux sur le portemanteau. Rien à dire. J’étais à la porte. Je l’ai entendue derrière moi. Je me suis retournée.

« Jeanette, est-ce que tu vas me dire pourquoi ?

– Pourquoi quoi ?

– Tu sais bien… »

Mais je ne sais pas pourquoi… ce que je suis… pourquoi je n’arrive pas à lui faire plaisir. A lui donner ce qu’elle veut. Pourquoi je ne suis pas ce qu’elle veut. J’ignore ce que je veux ou pourquoi je le veux. Mais je sais une chose : « Quand je suis avec elle, je suis heureuse. Tout bonnement heureuse. »

Elle a acquiescé. Elle semblait comprendre et j’ai vraiment cru le temps de cet instant qu’elle changerait d’avis, qu’on parlerait, que l’on se tiendrait toutes les deux du même côté du mur de verre. J’ai attendu.

Elle a répondu : « Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? »

 

Extrait 5/7 :

Je me dirigeais vers le « tout ou rien » qu’exige l’amour et qui provoque de terribles pertes. (…)

Mais…

Il y a toujours un joker. Moi, j’avais les livres. Surtout, j’avais le langage qui faisait les livres. Un moyen de parler de la complexité. Un moyen de « maintenir le cœur ouvert à l’Amour et à la Beauté » (Coleridge).

 

Extrait 6/7 :

Plus je lisais, plus je me sentais liée à travers le temps à d’autres vies et éprouvais une empathie plus profonde. Je me sentais moins isolée. Je ne flottais pas sur mon petit radeau perdu dans le présent ; il existait des ponts qui menaient à la terre ferme. Oui, le passé est un autre pays, mais un pays que l’on peut visiter et dont un peut rapporter ce dont on a besoin.

La littérature est un terrain d’entente. Un terrain qui n’est pas géré que par des intérêts commerciaux ni exploité comme une mine à ciel ouvert à l’instar de la culture populaire – tirez au maximum profit de la dernière nouveauté et passez à autre chose.

Nombreux sont les débats où l’on oppose le monde apprivoisé au monde sauvage. En tant qu’êtres humains, nous avons non seulement besoin d’une nature sauvage, mais aussi de l’espace ouvert et libre de notre imagination.

La lecture est le pays des Maximonstres.

 

Extrait 7/7 :

En mars 2008, j’étais au lit, je me remettais et je lisais l’ouvrage de Mark Doty – Les Années-chien.

Il raconte sa vie passée avec des chiens – en fait, il raconte surtout comment vivre avec la vie. Vivre avec la vie est très difficile. Le plus souvent, nous nous efforçons d’étouffer la vie – nous sommes sages ou capricieux. Apaisés ou enragés. Les extrêmes ont le même effet ; ils nous isolent de l’intensité de la vie.

De plus, les extrêmes – tristesse ou furie – effacent avec succès toute émotion. J’ai constaté que ce que nous éprouvons peut être si insupportable que nous inventons toutes sortes de stratagèmes ingénieux – des stratagèmes inconscients – pour tenir ces émotions à distance. C’est de l’échangisme émotionnel, au lieu de se sentir triste ou seul ou effrayé, on éprouve de la colère. Cela fonctionne aussi dans l’autre sens – la colère est parfois bénéfique et appropriée ; parfois, on a besoin de se sentir aimé et accepté plutôt que de contempler le spectacle tragique de sa vie.

Vivre ses émotions exige du courage – les vivre plutôt que de les échanger sur le marché de l’émotion ou même de les reporter d’un coup sur une autre personne. Vous savez que dans les couples il y en a toujours un qui pleure et crie tandis que l’autre est calme et raisonnable ?

J’ai compris que les émotions me posaient problème alors même que je croulais sous elles.

Note : Jeanette Winterson - Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? 1A lire aussi, l’avis de Cathulu.

2012 – 267 pages – ISBN : 978-2-87929-870-2
Traduction par Céline Leroy
Jeanette Winterson (1959) – Anglaise

 
Photographie : Chris Boland
 

Do you like Antoine Vitek's articles? Follow on social!
Vous avez aimé cet article ? Soutenez Culturez-vous

Des personnes ont réagi à cet article
Voir les commentaires Hide comments
Comments to: Jeanette Winterson – Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?
Write a response

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Abonnez-vous à la newsletter

Abonnez-vous à la Newsletter

Chaque mois, recevez le meilleur de Culturez-vous dans votre boite mail !

Merci ! Consultez votre boite mail pour valider votre inscription.