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Qu’est ce que l’art haïtien ? Si les termes « art naïf » ou « art primitif » vous viennent en tête, il est temps de balayer quelques clichés : comme le dit sans ambages l’artiste Pascale Monnin, parler d’« art premier », c’est n’avoir rien compris. L’inspiration populaire est cependant indéniable. L’influence des « pères » et le profond respect pour l’art de Préfète Duffaut ou Hector Hyppolite, qui comptent parmi les figures fondatrices de l’art moderne haïtien, sont lisibles un peu partout et ouvertement revendiqués. On aurait pourtant tort de croire que la jeune création haïtienne s’est contentée de reproduire la formule. Chaque artiste a forgé son univers à partir de ses préoccupations, de ses références et de son vécu.

 

A gauche : Hector Hippolite, Magie noire, 1946-47, Miwalkee Art Museum A droite : Hervé Télémaque, le voyage d’Hector Hyppolite, 2000, MAMVP (©ADAGP, Paris 2014)
A gauche : Hector Hippolite, Magie noire, 1946-47, Miwalkee Art Museum
A droite : Hervé Télémaque, le voyage d’Hector Hyppolite, 2000, MAMVP (©ADAGP, Paris 2014) © Paris, musée d’Art moderne / Roger-Viollet

 

Une des explications possible à un tel foisonnement créatif est le brassage culturel que l’Histoire a imposé à la petite île d’Haïti. Le génocide des indiens Taïnos par les colons espagnols, l’occupation française et l’arrivée des esclaves africains dans les plantations, son indépendance en 1804 qui fait d’Haïti la première république noire libre du monde, et jusqu’à l’occupation américaine puis la dictature des Duvalier, sont autant de cicatrices – mais aussi d’influences. Dans un tel contexte, inutile de dire que la caricature sait être mordante et le regard porté sur la société haïtienne sans détour.

 

A gauche : Fritzner Lamour, Poste Ravine Pintade, v 1980, collection Monnin A droite : Maksaens Denis, Tragédie Tropicale, 2013, coll. de l’artiste
A gauche : Fritzner Lamour, Poste Ravine Pintade, v 1980, collection Monnin
A droite : Maksaens Denis, Tragédie Tropicale, 2013, coll. de l’artiste, Photo Maksaens Denis

 

Le Vaudou haïtien, importé d’Afrique par les premiers esclaves, tient une place importante parmi les références citées. Bien au-delà du simple fait religieux, il fait partie intégrante de la culture haïtienne et de l’imaginaire collectif. Si le panthéon chrétien a réussi à s’y immiscer, ce n’est que pour en évoquer les divinités d’une manière détournée suite aux tentatives successives de plusieurs gouvernements d’en interdire le culte. Ainsi, chaque esprit peut être représenté par une figure hybride, un saint catholique aux vertus équivalentes ou un vévé, dessin géométrique tracé au sol. A cela s’ajoutent différentes incarnations modernes, comme Lady Di pour Erzulie (esprit de l’amour) ou Nicki Minaj pour Damballa (esprit de la connaissance représenté par un serpent).

 

A gauche : Myrlande Constant, Saint Jacques, 2005, coll. Bourbon-Lally A droite : André Eugène, Legbda, 2005, coll. de l’artiste
A gauche : Myrlande Constant, Saint Jacques, 2005, coll. Bourbon-Lally
A droite : André Eugène, Legbda, 2005, coll. de l’artiste, Photo Josué Azor

 

Dans une culture syncrétique par nature, difficile de savoir si l’influence de l’art moderne européen et américain imprègne la production artistique insulaire ou l’œil du visiteur. Avouons qu’il est tentant de rapprocher les crânes pailletés du Dubréus Lhérisson de ceux de Damian Hirst, ou, comme le propose l’exposition, de comparer certaines œuvres au travail de Jean-Michel Basquiat, artiste américain d’origine haïtienne mais qui n’y est jamais venu.

 

A gauche : Dubréus Lhérisson, sans titre, 2012-13, collection Raynald Lally A droite : Damien Hirst, For the Love of God, 2007, Londres, White Cube
A gauche : Dubréus Lhérisson, sans titre, 2012-13, collection Raynald Lally, Photo Josué Azor
A droite : Damien Hirst, For the Love of God, 2007, Londres, White Cube ©Damien Hirst and Science Ltd. / DACS 2014 Photo Prudence Cuming Associates Ltd.

 

Les membres de la diaspora se reconnaissent souvent volontiers une empreinte internationale. Même ceux qui s’inscrivent fortement dans des références populaires haïtiennes, comme Patrick Vilaire à propos de son Fossoyeur, citent (presque sans s’en rendre compte) des artistes comme Marcel Duchamp. Dans L’Embarquement pour l’Isle-de-France, Edouard Duval-Carrié (dont l’atelier est aujourd’hui à Miami) revisite le célèbre Embarquement pour Cythère de Watteau. Il y représente Vénus-Erzulie sous la forme d’une métisse, fruit du viol d’une femme noire par un colon, et la renvoie en France : l’« idylle » est terminée. A l’origine, l’artiste souhaitait réaliser son tableau en sucre (référence à l’exploitation coloniale), mais des fourmis ayant commencé à manger la première version, il choisit finalement la colle pailletée.

 

A gauche : Antoine Watteau, Embarquement pour Cythère, 1718, Berlin, Château de Charlottenburg A droite : Edouard Duval-Carrié, Embarquement pour l’Isle-de-France ou le Renvoi d’Erzulie Freda Dahomey, 2014, coll. de l’artiste (©ADAGP, Paris 2014)
A gauche : Antoine Watteau, Embarquement pour Cythère, 1718, Berlin, Château de Charlottenburg
A droite : Edouard Duval-Carrié, Embarquement pour l’Isle-de-France ou le Renvoi d’Erzulie Freda Dahomey, 2014, coll. de l’artiste (©ADAGP, Paris 2014), Photo Ralph Torres

 

Qu’est ce que l’art haïtien ? Avant tout un regard haïtien porté sur le monde. Ces artistes partagent avec le reste de l’humanité les préoccupations universelles de la mort, du pouvoir, de la mémoire, de l’amour ou de la croyance. On note d’ailleurs que malgré le nombre conséquent de femmes représentées, la condition de la femme en Haïti – pourtant loin d’être une sinécure – est peu évoquée. L’exposition conçue par Régine Cuzin et Mireille Pérodin-Jérôme offre une image chatoyante et variée, une image moins dramatique et plus vraie, de l’île.

 

Bande-annonce de l’exposition :

 

 

Informations pratiques :

 

Grand Palais, Galeries nationales

Jusqu’au 15 février 2015
Tous les jours, sauf le mardi, de 10h à 20h (nocturne à 22h le mercredi)

Plein : 12 € / Réduit : 9 € / Gratuit pour les moins de 16 ans

 

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