Du 24 avril au 08 septembre 2014, la Cité de l’Architecture et du Patrimoine accueille une exposition passionnante présentant les influences de la seconde guerre mondiale sur l’architecture, et inversement. Architecture en uniforme, une plongée captivante dans un pan peu connu de l’histoire de l’architecture.
Nous avons eu la chance de bénéficier d’une visite guidée par le commissaire de l’exposition, le passionnant Jean-Louis Cohen. Architecte et historien, Jean-Louis Cohen est un spécialiste de l’architecture du XXème siècle. Sa passion se ressent dans son discours, à la fois riche d’informations, d’anecdotes et de traits d’humour. Un moment très agréable à l’initiative de la cité de l’Architecture que nous remercions vivement.
Composée de plus de 300 œuvres originales – affiches, plans, photos, maquettes, dessins – l’exposition explore les développements de l’architecture pendant la deuxième guerre mondiale à travers deux évolutions principales : celle du bâti et celle de la discipline. On peut ainsi comprendre (ou prendre conscience de) l’importance que l’architecture a eu pendant le conflit et, réciproquement, celle du conflit sur la discipline.
L’exposition s’ouvre sur une galerie de 40 portraits d’architectes ayant œuvré pendant le conflit. Tous les côtés sont présentés. Des architectes détenus dans des camps (Guiseppe Pagano, Henri Bernard ou Szymon Syrkus), résistants (Pierre Vago, Jean Prouvé, Constantinos Doxiadis), proches d’Hitler (Fritz Ertl, Albert Speer)… Mobilisés, résistants, emprisonnés, déployés sur les fronts, tous ont eu un rôle dans le conflit.
L’exposition se poursuit autour de 17 thèmes clés. Projets d’alliés ou de combattants de l’Axe, pas de parti pris politique dans cette exposition, plutôt une représentation objective d’une période tourmentée.
Guerre aux Villes
La deuxième guerre mondiale est un conflit urbain. La guerre entre dans la ville, les attaques aériennes défigurent les cités et terrorisent les populations. Les villes, leurs monuments et bâtiments sont abimés voire détruits (Cologne verra son centre historique détruit à 93 %, Guernica sera complétement détruites par les Nazis). Pour protéger les bâtiments, les populations entreposent des sacs de sables. Ces remparts temporaires sont censés protéger les édifices contre les attaques de l’artillerie et de l’aviation. Les architectes sont concernés, à la fois comme citadins et comme protagonistes de la transformation.
Le front intérieur et l’autarcie
Les populations voient leur quotidien bouleversé par la guerre, les pénuries et les réquisitions. L’ensemble des matériaux agricoles, industriels et des matières premières sont réquisitionnés pour l’effort de guerre. La propagande bat son plein. De nombreuses affiches exhortent les populations à consommer différemment. On parle de recyclage, de récupération. On crée de nouveaux outils avec des nouveaux matériaux (par exemple Jean Prouvé et le fourneau Pyrobal en 1941).
Le front industriel
Des architectes s’emploient à construire les milliers des bâtisses nécessaires pour mener à bien le conflit : hangars, usines de production d’avions, de véhicules, de munitions… Les usines sont décentralisées, changent d’échelle et atteignent la taille d’une ville, employant des milliers d’ouvriers. L’usine sans fenêtre devient la norme (elle peut ainsi fonctionner jour et nuit sans être repérée par les avions). Albert Kahn propose, lui, des usines à niveau unique, éclairées par le haut et les côtés, en prévision de leur réutilisation après la guerre.
Loger les ouvriers
Construire des usines pouvant accueillir tant d’ouvriers nécessite de les loger. 625 000 logements seront ainsi construits entre 1940 et 1944 aux Etats-Unis (dont 580 000 temporaires). Des projets seront initiés mais abandonnées pour des raisons politiques (par exemple la ville nouvelle de Willow Run).
Mobilité et préfabrication
Les architectes créent de nouvelles habitions, plus fonctionnelles mais surtout modulaires et démontables. Le préfabriqué voit le jour. Cette technique sera utilisée pour les maisons individuelles, les usines et les bâtiments militaires.
Fortifications et projets pour la guerre
Deux gigantesques systèmes de fortifications verront le jour en Europe : la ligne Maginot et le mur de l’Atlantique. Aux Etats-Unis, sur le polygone de tir de Dugway dans l’Utah, on reconstruit des villages allemands et japonais entier pour les faire brûler et observer la combustion du napalm.
La protection anti-aérienne
Dans une guerre dominée par la menace aérienne, les architectes s’emploient à protéger les populations des villes bombardées en construisant des abris. Si l’Angleterre privilégie les abris de jardin et les abris collectifs, l’Allemagne construit des bunkers, malheureusement peu fiables.
Le camouflage ou dessiner l’invisible
Après la protection des populations, il faut protéger les villes. Des systèmes de camouflages sont développés pour dissimuler les villes ou les usines des yeux de l’ennemi. Dès 1939, l’école des Beaux-Arts de Paris propose comme idée de concours d’émulation la thématique de la « cité camouflée ». Le camouflage devient une discipline.
Au service de la communication
Les architectes mettent également leurs compétences au service de la propagande. Bel Geddes rendra compte des batailles navales époustouflantes. Publiées dans Life, elles donnent l’impression d’être des photos alors que ce ne sont que de ‘simples’ maquettes réalisées à base de coton et de gros sel. L’information est détournée et orientée. Caricatures, affiches de presse, photographies, tout est bon pour la propagande.
Quatre macro-projets
La seconde guerre mondiale voit aussi l’avènement de macro-projets : installations géantes mobilisant des centaines d’architectes. Qu’il s’agisse d’abriter des milliers de militaires (le Pentagone), d’exterminer des milliers de personnes (Auschwitz), de fabriquer l’arme atomique (Oak Ridge) ou de construire des fusées (Peenemünde), ce sont des projets capitaux pour les gouvernements et la poursuite du conflit qui sont confiés aux architectes.
Flexibilité et normalisation
Réfléchir à l’après-guerre tout en construisant des bâtiments utiles aux militaires, c’est un des enjeux des architectes de l’époque. Pour cela, on mesure et on normalise tout : l’espace nécessaire pour quatre personnes, si on se lave les cheveux dans un lavabo…
Architectures de l’occupation
L’occupation allemande s’accompagne d’un plan de réorganisation urbain. En 1943, ils dynamitent le centre de Marseille en imputant la responsabilité à Eugène Baudouin.
Architectes et prisonniers
Certains architectes se retrouvent enfermés dans les camps. Des concours d’architectures sont organisés dans ces camps et les résultats sont présentés à Paris au Grand Palais. D’autres, restent libres participant de près ou de loin, contraints ou non, aux volontés militaires.
Procès de Nuremberg
C’est à un jeune paysagiste, Dan Kiley, que sera confiée en juin 1945 d’aménager le palais de justice de Nuremberg où se tiendra le procès des criminels nazis. Une salle de projection est intégrée afin de d’utiliser des images et des vidéos comme pièces à conviction.
Imaginer l’après-guerre
Ce moment, tant attendu, sera un moment de reconstruction, de souvenir. Et pourtant, la reconstruction de l’après-guerre a été pensée bien avant la fin du conflit. Entre 1940 et 1944, une première reconstruction est engagée par le régime de Vichy (à Gien, par exemple).
Recycler les technologies militaires
A la fin de la guerre, tout est transformé. Les gens, la science, les techniques et bien-sur l’architecture. Les soldats, après avoir utilisé des armes, les femmes après avoir travaillé à l’usine n’ont plus les mêmes attentes et sont prêts à accueillir de nouveaux matériaux et des nouvelles techniques de construction et de production. Des stocks importants de matériels doivent être recyclés. Certains trouveront un usage dans un monde en paix, d’autres non…
Architecture de la mémoire
Dès le début de la guerre, les architectes avaient pour mission de commémorer les victoires. De nombreux nouveaux mémoriaux verront le jour après-guerre. A la fois création artistique et enjeux politiques, les mémoriaux sont principalement un lieu de recueillement et de souvenir.
Au final, une exposition passionnante. Très riche et renseignée, elle ravira le spécialiste tout en intéressant le néophyte. A voir !
Informations pratiques :
Cité de l’architecture & du patrimoine
1 place du Trocadéro, Paris 16e
Ouvert tous les jours de 11h à 19 heures.
Nocturne le jeudi jusqu’à 21h.
Fermé le mardi
Entrée plein tarif : 9 € – tarif réduit : 6 €
Pour aller plus loin, parcourez le Storify de notre visite en compagnie de Jean-Louis Cohen.
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