Résumé :
En 1996, Philippe Forest perdait sa fille âgée de seulement de 4 ans. Dix ans après, il revient sur cet événement tragique et analyse la façon dont la société traite la maladie et la mort d’un enfant.
Avis :
Quelques mois après le décès de sa fille, Philippe Forest a eu recours à l’écriture pour faire face à cette terrible épreuve. Ainsi sortait en 1997 L’enfant éternel, superbe et bouleversant roman dans lequel il faisait de sa fille « un être de papier ». Dix ans plus tard, la douleur de la perte reste vive mais le temps lui a permis de prendre du recul sur cette tragédie à laquelle il porte un autre regard. Dans l’avant-propos, il explique :
Je me rappelle avoir plusieurs fois pensé que je devrais reprendre ce récit, lui donner une forme qui convienne davantage à ce que j’aurais dû dire mais que l’immédiateté du désespoir m’avait interdit d’exprimer comme il convient. (…) Un roman me paraissait l’évidence. Mais cette évidence est aujourd’hui très lointaine. Il me semble qu’il aurait fallu tout présenter sans aucun artifice : dire très directement les événements tels qu’ils se sont déroulés de manière à faire entendre, sans littérature, ce que, dans le monde d’aujourd’hui, peuvent signifier la maladie et la mort d’une enfant.
Forest a donc mis de côté le style du roman pour se plier à l’exercice de l’essai. Tous les enfants sauf un vient en complément de L’enfant éternel en y apportant une vision plus réfléchie.
Même si le sujet est très difficile, j’ai trouvé ce livre passionnant. Malgré la douleur immense que l’on ressent dans chaque page du livre, Philippe Forest parvient à porter un regard extrêmement brillant sur la façon dont la société fait face à la mort d’un enfant. Il y détaille tous les points de vue : religion, médecine mais aussi le cercle proche des amis et de la famille qui, maladroitement, tente d’apporter un soutien.
Sans pudeur, il nous parle également de son couple. Pour la première fois il mentionne le vrai prénom de sa femme et explique comment ensemble ou séparément ils ont tant bien que mal fait face à cette disparition.
Souvent, l’auteur s’interroge sur ce qui le pousse à écrire. Même si ses livres ne parviennent pas à apaiser sa peine, même s’il sait qu’aucun mot ne parviendra à lui rendre sa fille ni même à traduire tout ce qu’elle représente pour lui, il apporte cette réflexion touchante :
A ceux qui ont lu mes romans, je suis reconnaissant de leur émotion parce que je crois qu’elle ne va pas à mes livres mais à l’enfant qui en fut l’héroïne. Il y a une beauté et une douceur, certainement, à se dire qu’avec vous, après vous, des dizaines de milliers de lecteurs pleurent à travers le monde l’agonie d’une enfant. Car que vaudrait un livre sec et sans larmes ? Mais cela ne change rien.
Je crois que ces quelques lignes sont celles qui résument le mieux l’intérêt de ce livre : s’indigner face à la mort extrêmement injuste d’une enfant. C’est un livre aussi triste que beau qui réveille en nous ce qu’il y a de plus humain et, au fond, n’est-ce pas là tout l’intérêt de la littérature ?
Extraits :
Extrait 1/6
Au début des années 60, Jean-Paul Sartre a déclaré à une journaliste qu’il considérait qu’aucun de ses romans ne faisait le poids devant la mort d’un seul des enfants affamés d’Afrique. Cette phrase a beaucoup fait sourire certains des jeunes écrivains d’alors qui ont eu beau jeu de répondre que la littérature, justement, et elle seule, permettait de donner une valeur à la vie – fût-elle celle d’un enfant – et d’en apprécier le prix. Il est vrai que beaucoup de poètes se réjouissent de voir brûler Rome pourvu que le spectacle leur fournisse la rime qu’ils cherchent à leurs vers. Ils iraient même jusqu’à allumer le brasier s’ils en avaient le courage. Que sauveraient-ils de l’incendie qui flambe autour d’eux ? Avec esprit, Cocteau déclare que de sa maison en flammes, il emmènerait le feu avec lui. Entre un Rembrandt et un chat, Giacometti prendrait le chat sous son bras. C’est Sartre et lui qui ont raison : l’art n’est rien s’il ne s’avoue inférieur à la moindre des choses vivantes auxquelles d’autres le préfèrent.
Pour ma part, entre l’enfant et le livre, si le choix m’avait été laissé, j’aurais voulu pouvoir garder l’enfant.
Extrait 2/6
La détresse dont l’enfant mourant offre le spectacle nous renvoie à l’archaïque déréliction d’être né, déréliction dont chaque individu conserve en lui le souvenir traumatique et qu’il lui a fallu surmonter pour grandir mais dont il sait bien à quel point elle a laissé en lui une plaie fragile que tout chagrin ne demande qu’à faire de nouveau s’ouvrir, cela est tout à fait pensable. C’est partout le même petit garçon, la même petite fille qui crie dans la nuit, qui appelle au secours. Et, au fond, dans ce vieux fond d’où nous reviennent tous nos cauchemars d’adultes, nous sommes toujours lui ou bien elle.
Extrait 3/6
L’idée même qu’un « travail du deuil » soit possible repose sur la conviction qu’un être est substituable à un autre. On pense la mort par analogie avec cette autre expérience de la perte que constitue la rupture amoureuse. Mais il faut ne jamais avoir vraiment aimé pour se convaincre que même l’euphorie érotique dans laquelle plonge l’existence d’un nouvel amour suffise à effacer le chagrin du départ, l’irréparable sentiment d’absence que laisse en soi le manque de l’être que l’on a un jour tenu contre soi.
Extrait 4/6
Rien ne remplacera celui que l’on a perdu. Et c’est seulement à la condition d’accepter cette évidence que, consentant au sacrifice partiel de soi-même, on conserve vive la vérité d’avoir aimé.
Extrait 5/6
Il n’y a pas beaucoup de choses qu’on puisse faire pour une personne endeuillée. Mais il y en a une qu’il faut tout à fait éviter, c’est d’entreprendre de la consoler. Car le réconfort fait violence à celui qui souffre en donnant tort à la douleur qui est devenue sa seule raison d’être. Le deuil est une folie sans doute et c’est pourquoi il est important de ne jamais le contrarier. Les mots de condoléances n’ont de valeur que s’ils donnent acte au deuil de son absolue justification, s’ils reconnaissent l’irrémédiable de la perte, ne prétendent pas la comprendre mais se contente d’acquiescer au refus de réconfort que réclame l’individu en deuil. Car il faut même s’abstenir de dire que l’on comprend, puisque comprendre est impossible et particulièrement à qui n’a pas vécu une telle expérience. Or le propre de celle-ci, si commune qu’elle soit, est d’être toujours vécue comme unique et incomparable.
Extrait 6/6
Sur la tombe de Pauline, sur la stèle rose au-dessus du gravier blanc, où ne figure aucune croix, nous avons fait inscrire la première phrase du roman de James Barrie, Peter Pan, qui dit : « Tous les enfants, sauf un, grandissent. » C’est cette phrase qu’on lisait aussi sur le bandeau rouge de L’enfant éternel. C’est elle dont je fais maintenant le titre de ce nouvel essai.
Note : 2007 – 169 pages – ISBN : 978-2-07-035854-0
Philippe Forest – Français
Editions Gallimard
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[…] avoir fait face à la mort de sa fille (voir Tous les enfants sauf un) Philippe Forest se retrouve dans un équilibre émotionnel précaire. Autour de lui il y a deux […]
[…] à la fille que Philippe Forest a perdue (lire à ce sujet L’enfant éternel, Toute la nuit, Tous les enfants sauf un). Si Forest a choisi d’écrire sur cet ossement ce n’est sans doute pas un […]