Est-ce parce que c’est un anglais, Charles Frederick Worth, qui a fondé la haute couture à Paris au milieu du XIXe siècle que 114 des 164 défilés de prêt-à-porter parisiens présentés en 2014 portaient la griffe de couturiers d’origine étrangère ? C’est l’une des questions que semble soulever l’exposition Fashion Mix présentée au Musée de l’histoire de l’immigration en partenariat avec le Palais Galliera. Alors que les Ministères de la Culture et de l’Economie se mobilisent pour mettre en avant les atouts économiques de la filière de la mode en France, l’exposition rend hommage à la diversité culturelle et ethnique des acteurs qui ont fait de Paris une capitale et un laboratoire de la mode.
Qu’elle soit nourrie de raisons personnelles, politiques ou économiques, l’histoire d’un départ relève de l’intime. Nancy Huston, auteur canadienne installée en France, parle de l’exil comme du « sentiment d’être dedans/dehors » – que l’on traduirait volontiers par l’expression « le cul entre deux chaises ».
Ce qui donne un supplément d’âme à Fashion Mix et lui évite le travers d’être une nième exposition sur le thème de la mode, c’est l’accès à l’envers du décor. Les demandes de naturalisation de couturiers qui adoptent la France, pays des droits de l’homme, alors qu’ils fuient la révolution russe, le génocide arménien ou le régime franquiste. La fierté de ceux, qui comme Francisco Rabaneda y Cuervo – alias Paco Rabanne – quittent un régime totalitaire mais refusent d’abandonner leur nationalité. Les télégrammes priant d’envoyer une nouvelle machine à coudre ou des fonds pour une petite entreprise. Les croquis de la première collection française de Balenciaga, griffonnés sur le papier à en-tête d’un petit hôtel parisien.
Bien sûr, certains exils sont « joyeusement choisis » et ce n’est pas un hasard si le monde de la mode se donne rendez-vous à Paris. Le droit de la propriété intellectuelle y est assuré par les dépôts de brevet à l’INPI. On y trouve les meilleures « petites mains » : brodeuses russes, chausseurs arméniens, passementières, tricotières… Tous les biopics comme le Saint Laurent de Bertrand Bonello (pour ne citer que lui) montrent qu’elles sont indispensables pour faire vivre les costumes de papier.
Paris porte aussi le titre de capitale des arts : Sonia Delaunay y propose ses robes simultanées (à admirer au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris jusqu’au 22 février), Elsa Schiaparelli y rencontre les surréalistes, Yves Saint Laurent y dessine sa robe Mondrian.
Les influences les plus fantasques parviennent, de gré ou de force, à se faire une place sur les podiums et dans les garde-robes. Ironie du sort, la créatrice belge Ann Demeulemeester disait avoir d’abord « préféré montrer [ses] collections à Londres qu’à Paris car Paris [lui] faisait peur ». C’est pourtant en France qu’elle s’installe en 1988, suite aux réactions négatives de l’administration britannique. Avec les « Six d’Anvers », elle se fraye un chemin jusqu’aux défilés parisiens à coup de fausses invitations ! L’école japonaise, Issey Miyake en tête, est surnommée par la presse le « péril japonais » avant de conquérir la ville. La célébrité se savoure parce qu’elle se paye cher.
Seul regret dans ce tour du monde de la mode à la française, l’absence notable de créateurs africains et sud-américains. La mode serait-elle prise en flagrant délit d’immigration choisie ?
Informations pratiques :
Musée de l’Histoire de l’Immigration – Palais de la Porte Dorée
293, avenue Daumesnil (Paris 12e)
Jusqu’au 31 mai 2015
Du mardi au vendredi de 10h à 17h30
Le samedi et le dimanche de 10h à 19h
Tarif unique : 6 € / Gratuit pour les moins de 26 ans
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