Qui mieux qu’un fou pour parler d’un fou ? En 1946, le galeriste Pierre Loeb suggère à Artaud d’écrire sur Van Gogh, songeant que ses neuf années d’internement font de lui l’écrivain idéal pour parler du célèbre peintre.
D’abord peu convaincu, Artaud cède en 1947, s’insurgeant contre le portrait clinique de Van Gogh dressé par le psychiatre François-Joachim Beer. Pour Artaud, si Van Gogh s’est suicidé, c’est parce qu’il y a été poussé par ceux que sa peinture dérangeait et qui voulaient l’empêcher d’émettre « d’insupportables vérités ».
Et c’est ainsi que Van Gogh est mort suicidé, parce que c’est le concert de la conscience entière qui n’a plus pu le supporter
L’exposition présente un parcours à travers les œuvres de Van Gogh, classées en onze sections, en fonction de l’analyse dressée par Artaud.
« Mon travail à moi j’y risque ma vie et ma raison y a fondrée à moitié […]. »Lettre de Vincent à Theo van Gogh, Auvers-sur-Oise, mercredi 23 juillet 1890
Solitude, suffocation, angoisse, apocalypse… dès la première salle, on perçoit la folie de Van Gogh. Plusieurs mots et expressions sont projetés avec une typographie rappelant le style tourmenté de la peinture de Van Gogh. Une scénographie originale qui annonce ce qui nous attend : dans cette exposition il n’est pas seulement question de peinture ou de littérature mais bien d’un mélange des deux. Il s’agit de re-découvrir l’œuvre du célèbre peintre néerlandais à travers le prisme du livre d’Artaud : Le suicidé de la société.
Le drame éclairé
Cette articulation entre les tableaux de Van Gogh et les textes d’Artaud apporte une lecture intéressante de l’œuvre du peintre ainsi que de sa folie. L’exemple qui m’a semblé le plus frappant est celui du Fauteuil de Gauguin. En 1888, au cours d’une crise, Van Gogh menace Gauguin avec une lame de rasoir avant de se trancher le lobe de l’oreille gauche et de l’offrir à une prostituée. Au sujet de ce tableau, Artaud écrit :
Un bougeoir sur une chaise, un fauteuil de paille verte dressée un livre sur le fauteuil, / et voilà le drame éclairé.
Qui va entrer ? / Sera-ce Gauguin ou un autre fantôme ?
En effet, pour Artaud, l’ombre violette qui se dessine sur la chaise représente la ligne de démarcation entre les deux personnalités de Van Gogh.
C’est ainsi que, tout au long du parcours, la lecture d’Artaud s’entremêle à la peinture tourmentée de Van Gogh et nous en donne un nouvel éclairage, certes subjectif, mais très intéressant.
Autres exemples : Artaud voit dans le Docteur Gachet un « envouteur » et le principal responsable du suicide de Van Gogh. Quant aux célèbres Tournesols, apparus à Van Gogh lors de son séjour parisien de 1886 à 1888, ils sont pour Artaud la quintessence de l’art du peintre :
[…] ses tournesols d’or bronzé sont peints ; ils sont peints comme des tournesols et rien de plus, mais pour comprendre un tournesol en nature, il faut maintenant en revenir à Van Gogh […].
Une salle présente le Champ de blé aux corbeaux à travers une projection en haute définition permettant d’observer en détail le style tourmenté de Van Gogh. Artaud y voit l’annonce d’un drame à venir, visible à travers le blé convulsé mêlé au vol des oiseaux.
Artaud et Van Gogh : deux dessinateurs tourmentés
Une partie de l’exposition, consacrée aux dessins d’Artaud, permet de dresser un parallèle entre le rapport qu’entretenaient Van Gogh et Artaud vis-à-vis de la folie :
Je suis aussi comme le pauvre Van Gogh, je ne pense plus, mais je dirige chaque jour de plus près de formidables ébullitions internes.
Violenté par la maladie et par les électrochocs, le médecin d’Artaud, favorable à l’art thérapie, l’incite à s’exprimer à travers le dessin. On trouve dans ses œuvres des danses macabres, des corps projetés. Nul doute que Van Gogh et Artaud avaient en commun un art extrêmement tourmenté.
A propos du dessin, Van Gogh écrivait dans une lettre destinée à son frère Théo, en 1882 :
Comment y arrive-t-on ? / C’est l’action de se frayer un paysage à travers un mur de fer invisible, qui semble se trouver entre ce que l’on sent et ce que l’on peut. Comment traverser ce mur, car il ne sert à rien d’y frapper fort, on doit miner ce mur et le traverser à la lime, lentement et avec patience à mon sens.
« Méfiez-vous des beaux paysages de Van Gogh tourbillonnants et pacifiques »
« La nuit est bien plus vivante et richement colorée que le jour. »
La Nuit étoilée, Arles, septembre 1888
Huile sur toile, 73 x 92 cm
Paris, Musée d’Orsay
© RMN-Grand Palais / Hervé Lewandowski
La dernière partie de l’exposition s’attarde sur les scènes nocturnes et sur les paysages convulsés peints par Van Gogh à partir de 1888. Le peintre est alors plongé dans une profonde déréliction. Quelques jours avant son suicide, en 1890, Van Gogh écrit à son frère :
Ce sont d’immenses étendues de blés sous des ciels troublés et je ne me suis pas gêné́ pour chercher à exprimer de la tristesse, de la solitude extrême.
On ressort de l’exposition doublement enrichi, avec un nouveau regard sur la peinture de Van Gogh mais également une meilleure connaissance d’Artaud. Personnellement, si je n’ai pas été très charmé par les dessins de ce dernier, j’ai bien envie de le lire davantage.
Le musée d’Orsay conserve plusieurs toiles de Van Gogh et présente dans cette exposition ses plus belles pièces. A côté de ces œuvres s’affichent d’autres tableaux venus de Copenhague, Londres, Washington ou encore d’Helsinki et, bien sûr, du Vang Gogh Museum d’Amsterdam. Au-delà de l’analyse particulièrement intéressante d’Artaud, l’exposition s’avère quasi incontournable tant il est rare de voir autant de tableaux de Van Gogh réunis.
Attention cependant si vous ne visitez que les collections permanentes du musée, vous pourriez être déçu : la salle des Van Gogh s’en trouve, de fait, très dépouillée.
Informations pratiques :
Du 11 mars au 6 juillet 2014
Musée d’Orsay
1, Rue de la Légion-d’Honneur, Paris 7e
Du mardi au dimanche, de 9h30 à 18h
Nocturne le jeudi jusqu’à 21h45
Tarif plein : 11 € / Tarif réduit : 8,50 €
Pour en savoir plus : Site officiel de l’exposition
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