Les travaux de transformation de Paris dirigés par le baron Haussmann sous le Second Empire ont profondément marqué l’architecture de notre capitale. Mais comment était Paris avant ces travaux ? Quelles maisons trouvait-on à l’emplacement actuel des grandes percées dessinées à la fin du XIXe siècle ?
Le formidable livre Paris pour Mémoire de Pierre Pinon recense un vrai trésor : les croquis d’un millier de bâtiment parisiens aujourd’hui disparus, détruits lors du percement de la rue de Rivoli et des halles centrales. Pourquoi ces croquis ont-il été exécutés ? Quelle est leur histoire ? Et que nous apprennent-ils sur le Paris du XIXe siècle ? Explorons ce Paris oublié…
“Conserver du moins le souvenir des quartiers qui vont disparaître” : une commande d’Eugène Deschamps
Si l’on parle communément des travaux d’Haussmann, ce n’est pourtant pas lui qui a dessiné les grandes avenues parisiennes. Haussmann supervisait l’opération et s’occupait de l’aspect administratif comme les enquêtes publiques ou le financement. C’est à Eugène Deschamps, conservateur du Plan de Paris, que l’on doit le tracé des percées. En novembre 1851, Deschamps – visiblement doté d’une sensibilité patrimoniale – écrit à l’architecte Gabriel Davioud :
Le percement de la rue de Rivoli va faire disparaître près de 250 maisons, 80 seront démolies au mois de janvier prochain. L’administration désire conserver du moins le souvenir desdits quartiers qui vont disparaître.
Aidé de collaborateurs, Davioud se consacre donc à l’exécution de cette tâche qui dépassera la commande initiale. Elle durera en effet trois années et s’étendra à plus de 1000 maisons situées à l’emplacement actuel de la rue de Rivoli entre l’Oratoire et l’Hôtel de Ville, ainsi qu’à l’espace consacré à l’implantation des halles centrales et au retrait d’alignement de la rue Saint-Jacques. Ces maisons seront détruites entre 1852 et 1854.
Les dessins ainsi exécutés sont en couleur et d’une grande précision. Malheureusement, ces derniers ont disparu en fumée dans l’incendie de l’Hôtel de Ville lors de la Commune en 1871. Comme le souligne Pierre Pinon, “les maisons détruites l’auront donc été deux fois, d’abord, réellement sous la pioche et ensuite, symboliquement, par les flammes”.
Du travail de l’équipe de Gabriel Davioud il ne reste donc que les minutes, c’est-à-dire les relevés au crayon, travail préparatoire aux dessins en couleur. Ces relevés sont néanmoins déjà extrêmement détaillés, tout y est : les noms des enseignes de magasins, les gouttières, les stores, les volets… de nombreuses annotations viennent compléter les croquis, définissant les couleurs ou les matériaux des bâtiments. Seul manque à ces relevés les habitants, si bien que ce précieux recueil laisse voir une ville fantôme, abandonnée, morte, bref : prête à être démolie. Seuls quelques rares édifices sont toujours debout de nos jours, on trouve ainsi les croquis de la tour Saint-Jacques et de l’église de l’Oratoire.
Paris au XIXe siècle
Ces dessins sont riches en enseignements sur le Paris du XIXe siècle. On y constate tout d’abord que déjà à cette époque, il ne reste presque plus de maisons médiévales. La plupart sont relativement récentes, datant du XVIIe ou du XVIIIe siècle, constituées de 2 à 5 étages et d’une boutique au rez-de-chaussée.
Les enseignes de ces boutiques sont particulièrement intéressantes. Bien entendu, on est encore loin de la mondialisation et les magasins portent les noms de leurs propriétaires. Vous étiez ainsi conviés à aller vous rendre à l’épicerie Boussuges, à la laiterie Corbeil ou encore chez la blanchisseuse Heppel… On trouve également des établissements qui ont disparu de nos jours comme des fabriques de casquettes, des culottiers, gantiers, guêtriers, des achats et reconnaissance du mont de piété ou encore des lavoirs publics.
Certains immeubles portent par ailleurs des inscriptions qui laissent présager des destructions à venir. Ça et là on peut lire “liquidation pour cause d’expropriation” ou “vente au rabais pour cause de démolition”…
Gabriel Davioud, futur architecte de génie
Peu après l’exécution de ces dessins, Gabriel Davioud est recruté en 1855 par Eugène Deschamps comme architecte-inspecteur au bureau des Travaux d’architecture. Il réalisera de nombreux bâtiments parisiens dont certains sont encore des fleurons de l’architecture de la capitale : la fontaine Saint-Michel, les théâtres de la place du Châtelet (théâtre du Châtelet et théâtre de la Ville), les grilles du Parc Monceau et du square du Temple, la grotte artificielle du Bois de Vincennes, la rotonde du Lac Daumesnil, la mairie du 19e arrondissement… il fut également l’architecte du Palais du Trocadéro, détruit en 1935.
Onze ans après ces dessins, Haussmann commandera à François Bossu, surnommé Marville, un reportage photographique des quartiers de Paris qui vont être détruits. Un travail qui apporte un regard complémentaire sur un Paris (plus tout à fait) oublié mais qui ne concerne pas autant d’immeubles que ceux répertoriés dans le précieux recueil de Davioud, réuni dans le fabuleux ouvrage de Pierre Pinon. Nous ne pouvons que vous encourager à vous le procurer tant on peut consacrer des heures à parcourir ces dessins fascinants.
Pierre Pinon, Paris pour Mémoire, le livre noir des destructions haussmanniennes
Editions Parigramme
ISBN : 978-2-84096-795-8
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Voir les commentaires Hide commentsQuelle belle découverte ! Merci Antoine pour ce billet. Sais-tu où sont conservés ces dessins aujourd’hui ?
Merci 🙂 Malheureusement non je ne sais pas où ils se trouvent :/
Ps : attention, ton lien « acheter en ligne » est vérolé : j’ai été redirigé vers des sites de pub pour des paris !
Quel beau reportage. Je n\’avais pas vu ces dessins et ces photos. Merci. Est-ce que vous pourriez me dire comment s\’appelle la pièce qu\’on joue pendant la vidéo?