« J’espère cet anniversaire comme un feu actif ». Que Stéphane Corréard, commissaire artistique du Salon et auteur de cette phrase se rassure : la soixantième édition du Salon de Montrouge est un crépitement de créativité, d’originalité et de poésie. Manifestation européenne emblématique, tremplin pour les artistes depuis 1955, le Salon est un véritable foyer de nouveaux talents à découvrir dans le Beffroi de Montrouge jusqu’au 3 juin 2015 !
60 bougies, 60 exposants
Ils étaient 3000 candidats, ils sont 60 retenus : c’est une sélection d’artistes volontairement resserrée qui expose cette année à Montrouge, méticuleusement sélectionnée par un collège critique composé, entre autre, de l’artiste et invité d’honneur Jean-Michel Alberola, du cinéaste Olivier Assayas et du commissaire d’exposition et critique d’art Marc-Olivier Wahler, également le premier à avoir invité les lauréats du Salon à exposer au Palais de Tokyo.
Sur 1500 m2, photographies, sculptures, dessins, vidéos, projets numériques, installations, performances et œuvres collectives s’entremêlent joyeusement dans une scénographie savamment orchestrée par la géniale matali crasset.
Tapis rouge au sol, flammes pourpres dressant leur incandescente signalétique vers le ciel, alcôves abritant chacune deux artistes mis en regard : la scénographie est une œuvre d’art à part entière qui laisse toutefois libre cours à l’expressivité de chaque exposant. On s’y laisse porter, d’univers en univers, empruntant çà et là les chemins de traverse qui s’offrent à nous.
Ces chemins de traverse, ils sont « un clin d’œil aux gens qui prennent les chemins buissonniers pour devenir artistes » explique la scénographe, en ajoutant que les bougies qui scandent l’espace célèbrent bien évidemment le soixantenaire du Salon, mais saluent tout autant « l’implication de la mairie [de Montrouge] pour défendre l’art contemporain ». En somme, cette scénographie symbolise et encense graphiquement un soixantième anniversaire haut en couleurs.
Un programme hors-les-murs inédit
Pour la première fois depuis 1955, un parcours hors-les-murs inédit entraîne le visiteur intrépide hors des alcôves : la création contemporaine investit divers endroits, des murs perdus aux jardins publics. Si la balade vous tente, vous trouverez une sculpture graphique de Stéphanie Cherpin dans le parc Jean Moulin, l’atelier de moulage-musée des glaces de Simon Nicaise dans le square de l’hôtel de ville, la structure d’aluminium de NØne Futbol Club dans le square du 75 avenue de la République, et enfin la table en ping-pong en béton de Stéphane Vigny dans le parc Renaudel.
L’ancienne pharmacie du 47 avenue de la République propose quant à elle une œuvre inédite de Jean-Michel Alberola tout comme l’exposition collective « Parti(e) du paysage » de la galerie nomade Simon Cau.
Enfin, si vous souhaitez prolonger l’expérience jusqu’à Paris, la lauréate du Grand Prix du Salon 2014, Tatiana Wolska, saura vous émerveiller avec une installation monumentale exposée jusqu’au 13 septembre au Palais de Tokyo.
Waow !
Nombreux sont les artistes qui frappent la rétine dans cette éditions 2015. Nous pourrions citer la nébuleuse Marion Catusse et ses Cellules imaginaires, Jérôme Cavalière et ses détournements de vidéos YouTube sauce potache, Clara Citron, ses gravures sur plexiglas et dessins spontanés et piquants, Valentin Dommanget et ses torsions picturales modélisées, ou encore Mathieu Roquigny et son ready-made Tuc pour Tonton Michel…
Zoom sur ce qu’on a préféré :
La fameuse œuvre collective et évolutive du Salon
S’articulant sur les parois de l’ascenseur du Beffroi, une œuvre collective ne cesse de prendre forme, simultanément conçue par 55 anciens participants du Salon. Ainsi, l’œuvre se complète au fil des jours sous les yeux émerveillés du visiteur qui, comme moi, vient plusieurs fois ! Je vous conseille néanmoins de préférer l’escalier pendant le temps du Salon… au vu de l’adorable guillotine qui trône pile au-dessus de la porte de l’ascenseur !
Benjamin Renoux, un concentré de poésie à la croisée de médiums différents
Œuvres hybrides mêlant photos d’archives et vidéos contemporaines, les créations de Benjamin Renoux sont une perpétuelle interrogation sur le rapport à l’image, à l’identité, au temps qui passe.
Ici, une ombre va et vient devant la photo d’un enfant, là un jeune homme parle derrière la photo d’une jeune femme en surimpression… Les œuvres de Benjamin Renoux sont autant de palimpsestes mouvants superposant présence et absence, immobilisme et mouvement, espace et temporalité. On reste hypnotisés par ces étranges ballets d’ombres silencieuses, fascinés quoiqu’un peu mal à l’aise…Poétique et spectral !
Zim & Zou, une explosion de couleurs et de virtuosité
Le défi du passage de la deuxième dimension du simple papier à la troisième dimension de la sculpture est prodigieusement relevé ! De leurs vrais noms Lucie Thomas et Thibault Zimmerman, le duo réalise de fabuleuses sculptures éphémères de papier aux couleurs flashy-acidulées… une identité colorimétrique qui n’est pas sans taper dans l’œil !
Sous leurs airs d’objets rocambolesques et sympa, la machine Creative Factory et les Back to basics, éléments très « années 80-90 » qui gravitent autour d’elle (cassette audio, Game Boy, disquette d’ordinateur et j’en passe) sont autant de chefs d’œuvre de précision colorée cristallisant une vive interrogation sur l’automatisation de la production industrielle et technologique. Zim & Zou, un tandem de choc qu’on n’est pas prêts d’oublier !
Julie Luzoir, il était une fois l’histoire
Issue des Beaux-Arts de Metz et graphiste, Julie Luzoir fait partie de ces artistes qui vous tapent dans l’œil comme au cœur.
C’est tout un univers fragile et poétique qui jaillit de ses œuvres et actions, lesquelles ont toutes un dénominateur commun : l’humain.
Cette artiste, engagée dans une action de terrain via une association organisant des ateliers artistiques destinés à divers publics, illustre également son engagement au sein d’expositions, de vadrouilles en résidences d’artistes et de performances dans diverses FRAC.
Celle qui, enfant, dessinait sur une nappe en papier tendue au mur investit également les murs du Salon de Montrouge de ses œuvres profondément touchantes. Gros plan sur les œuvres présentées au Salon :
La file d’attente, 2012-2015
Encre sur papier listing, dimensions variables
Vaste projet commencé en 2012 en réaction à l’image bouleversante des files d’attente devant les banques grecques, La File d’attente chronique une société immobilisée par la crise qu’elle traverse. Croquant de son feutre acéré une foule stagnante, l’artiste cristallise une humanité qui, pour l’heure, ne va nulle part. Témoin de son temps, historienne d’encre et de papier, Julie Luzoir déploie sur des centaines de mètres cette humanité statique et touchante. Si cent mètres de papier listing accueillent les trois dernières années passées, c’est un kilomètre entier que l’artiste souhaite nous faire « parcourir »… soit l’équivalent de dix ans ! Vaste fresque… Toute une histoire !
Dessins abandonnés du 16 octobre au 16 décembre 2013
Traces de carbonne sur papier bleu, 29x21cm
C’est tout un protocole « d’abandon de dessin » qui a été imaginé par notre artiste. Cafés, métros, cabines téléphoniques, tout lieu est propice au dessin, et Julie Luzoir ne se prive pas de ce champ des possibles ! Croquant ce qui fourmille sous ses yeux, l’artiste imprime le dessin original sur une feuille de papier carbone qu’elle conserve avant d’abandonner le dessin original dans un lieu public.
Chaque dessin est estampillé d’un coup de tampon rouge expliquant que si celui qui le trouve souhaite en obtenir la signature, il doit le ramener à l’artiste. Ainsi, c’est par cette action participative que le public fait du dessin abandonné une œuvre, car sans lui, pas de signature, et sans signature pas d’œuvre. Proposant au public de devenir co-auteur de l’œuvre, Julie Luzoir met encore une fois l’humain au centre de sa démarche. Jolie poétique de l’abandon qui pousse à la rencontre que celle-ci !
Ajoutons que cette lumineuse idée s’épanouit actuellement dans tout Montrouge, sur une flopée de croquis disséminés… Ouvrez l’œil, on ne sait jamais sur quoi on peut tomber !
Wendel, 2015
Encre sur papier, pointeuses métalliques, dimensions variables
Prenant cette fois des pointeuses d’usines lorraines pour médium, Julie Luzoir décontextualise ici le geste ouvrier en remplaçant les numéros d’ouvriers sur les fiches de la pointeuse par le dessin des ouvriers eux-mêmes. Toujours saisis au feutre noir, ces derniers sont figés dans leur geste laborieux mais dépossédés de leur outil. Poses absurdes, chorégraphies étranges et silhouettes alambiquées se déploient sur ces supports de fer désormais inutiles.
Par ce procédé, l’artiste a voulu mettre en lumière un acier lorrain moribond, une Lorraine désespérément désindustrialisée et des hommes dont la vie n’a plus de sens. Encore une fois témoin d’une réalité bien présente, Julie Luzoir met l’humain à nu pour faire prendre conscience d’une histoire qu’elle souhaiterait voir s’achever par un happy end. Son objectif ? Semer des grains de sable pour faire déraper la machine qui nous entrave et contribuer à rendre, grain par grain, le monde un peu meilleur.
Ainsi, ce Salon qui aura vu passer Léger, Picasso, Dali, Braque, Bonnard, Dufy, Otto Dix et tant d’autres propose un joli florilège de la création contemporaine. Un « feu actif » que cette édition du Salon ? Sans l’ombre d’un doute !
Once upon a time : pour en savoir plus sur l’histoire du Salon de Montrouge
Informations pratiques :
Du mardi 5 mai 2015 au mercredi 03 juin 2015
Le Beffroi
2, Place Emile Cresp (92120 Montrouge)
Entrée libre
Tous les jours de 12 heures à 19 heures
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