Aujourd’hui, le mot grève évoque immédiatement l’arrêt volontaire du travail, un mouvement collectif destiné à faire pression sur l’employeur ou les pouvoirs publics. Pourtant, peu de gens savent qu’à l’origine, « faire grève » n’avait rien à voir avec une action de contestation sociale. Le terme puise ses racines dans l’histoire urbaine et populaire de Paris, et plus précisément dans un lieu emblématique : la place de Grève, actuelle place de l’Hôtel de Ville.
La place de Grève : un espace central de la vie parisienne
Située au bord de la Seine, devant l’actuel Hôtel de Ville, la place de Grève était au Moyen Âge une vaste esplanade sablonneuse (le mot grève venant du latin grava, désignant un terrain de sable ou de gravier). C’était un lieu animé, un carrefour économique et social où l’on se retrouvait pour de multiples activités. On y organisait des fêtes, des marchés, mais aussi des exécutions publiques, ce qui en fit longtemps un espace de forte visibilité dans la capitale.
Mais surtout, la place de Grève devint le point de ralliement des travailleurs sans emploi. Les artisans, manœuvres et journaliers qui cherchaient un engagement temporaire s’y rendaient dans l’espoir d’être embauchés par un maître, un entrepreneur ou un particulier. On disait alors « aller à la Grève » comme on dirait aujourd’hui « aller à Pôle emploi ». Cette habitude fit de la place un véritable marché du travail à ciel ouvert.

De l’attente du travail à l’arrêt du travail
C’est de cette pratique que provient l’expression « faire grève ». Au départ, elle signifiait littéralement « se tenir sur la place de Grève en quête d’un emploi ». Progressivement, l’expression a évolué : elle a désigné non plus la simple recherche, mais la situation d’ouvriers qui, faute d’embauche, restaient en attente, inactifs. L’idée de suspension de l’activité s’est alors imposée.
À partir du XIXᵉ siècle, dans le contexte de la révolution industrielle et des premières mobilisations ouvrières, le sens s’est transformé de façon décisive. « Mettre un patron en grève » en est venu à signifier refuser de travailler pour lui. La grève est devenue un refus de travailler pour défendre ses droits ou revendiquer de meilleures conditions. Le mot est donc passé d’une inactivité subie à une inactivité choisie, puis organisée collectivement. Ce glissement sémantique illustre l’histoire sociale de la France et la montée en puissance du mouvement ouvrier.

Une mémoire effacée mais précieuse
La place de Grève elle-même a disparu en tant que telle : rebaptisée place de l’Hôtel-de-Ville en 1830, elle a perdu son nom d’origine. Pourtant, le mot est resté, chargé de ce double héritage : un espace où l’on espérait trouver du travail, et un symbole de lutte pour de meilleures conditions de vie.
Ainsi, chaque fois qu’on parle d’une « grève » aujourd’hui, on fait sans le savoir référence à ce lieu parisien et à ces files d’ouvriers venus attendre une embauche. Derrière les manifestations, les arrêts de production et les slogans syndicaux, subsiste donc la mémoire d’une place sablonneuse au bord de la Seine, où la vie des travailleurs se jouait au jour le jour.
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