On vous le dit d’emblée : il est impensable de passer à côté de l’exposition Niki de Saint-Phalle présentée cette saison. En premier chef, la conquête du Grand Palais par les Nanas de l’artiste est un événement en soi.
L’espace intérieur du musée, transformé, se révèle être l’écrin gigantesque le mieux adapté pour les œuvres débordantes de cette femme sculptrice, peintre, performeuse, graveuse… débordantes de vérités à dire, à prendre, à jeter à la face du monde.
Les sculptures de l’artiste, -qu’elle qualifie elle-même de « monumentales » sur le ton joyeux de la farce prométhéenne-, évoluent dans les salles immenses en une parfaite harmonie ; harmonie de couleurs, de tons, de thèmes… On se sent enivré de tant de beauté mise d’un coup sous les yeux du grand public. Le Grand Palais permet donc d’accueillir une série impressionnante de Nanas, ces œuvres emblématiques de l’art de Niki de Saint-Phalle, de même que celles de la fin de la carrière, -et donc de la vie- de celle qui n’a jamais cessé de créer, de chercher, de prendre à bras-le-corps un monde pétri d’injustices dont à aucun moment elle n’a voulu être dupe. Engagée pour l’émancipation des Noir.e.s aux Etats-Unis, – son pays d’origine, et celui dans lequel elle s’est un temps installée -, elle s’est également revendiquée féministe : courageuse, farouche, provocante, absolument libre. Le Mur de la Rage qui ouvre la deuxième section de l’exposition, en préliminaire de la salle des Tirs, prouve combien celle qui disait qu’elle aurait pu finir terroriste a bien fait de choisir la voie des artistes, périlleuse et marginale, mais d’une autre manière.
Seule femme parmi le groupe des Nouveaux réalistes, elle a commencé avec eux à construire collages et sculptures, parfois proches du Surréalisme (comme dans Two Guns and One Knife, 1960-1961), et à rassembler des morceaux du monde désordonné d’après-guerre. Mais au bout d’un moment, elle s’est éloignée du groupe afin de suivre sa propre voie. Iconoclaste, cette croyante de l’art en a bousculé les codes masculins. Habitée d’un univers qu’elle a déployé pour mieux comprendre le monde de tous, elle a persévéré dans la construction colorée de chefs-d’œuvre insensés, Le Rêve de Diane qui se déploie au Grand Palais en est un bel exemple. Renversant la perception que l’on a de nos environnements, elle va par exemple créer Hon, une parturiente allongée dans laquelle les visiteurs pourront pénétrer. L’exposition donne l’occasion de voir les dessins préparatoires et la maquette de cette gigantesque installation datant de 1966.
Comme le dit elle-même cette géante de l’art terriblement humaine, le « grand public est mon public », – sa formulation sera reprise pour la salle finale de l’exposition. Elle cherche en effet à le captiver, à faire connaître au plus de gens possibles et imaginables sa vision à la fois personnelle, universelle et unique des choses. C’est rendre son art visible, dans toutes ses déclinaisons, que permet aussi cette exposition. Et présenter les totems de ses jardins publics imaginés, comme celui de la reine Califia, amazone noire d’un royaume ancestral, voilà qui est fait : c’est dire le défi muséal auquel peut se mesurer le Grand Palais ! Il a su merveilleusement mettre à disposition de l’artiste protéiforme et si impressionnante qu’est Niki de Saint-Phalle un espace à la mesure de son parcours d’artiste hors-normes.
A noter qu’aux côtés des Nanas, danseuses énormes d’un univers en apesanteur, on découvre le travail de sérigraphie de l’artiste. Ces œuvres donnent tout leur sens aux histoires que cherche à raconter Niki de Saint-Phalle. Elles permettent aussi de comprendre sa cosmogonie joyeuse et impertinente ; cosmogonie par laquelle l’artiste dénonce les normes et les périls de la société (exploitation outrancière des ressources de la Terre, commerce d’armes)… En somme, elles constituent une des meilleures découvertes de cette rétrospective consacrée à l’artiste ; on s’y perd et on y réfléchit, on s’y réfléchit, le tout saupoudré de tendresse, de poésie et d’un humour terrible. Ces sérigraphies, si on y regarde bien, se trouvent préfigurées par les premiers paysages à la Pollock, qui oscillent entre pointillisme moderne et figuration onirique.
Voulant redécorer le monde selon ses couleurs, Niki de Saint-Phalle ne s’arrête pas là et créé également des bijoux afin de parer des femmes joyeuses et libres. L’ensemble de ces bijoux d’artistes constituent l’autre belle découverte de la grande salle où se déploient les Nanas, pivot du parcours d’exposition.
Deux grands fils courent le long de ce parcours, des grandes Mariées, composées de jouets en plastique réutilisés aux gigantesques parcs des mille attractions et aux jardins pour enfants, c’est tout d’abord l’aspect ludique de l’œuvre protéiforme de Niki de Saint-Phalle qui imprègne et entraîne le regard. Lorsque l’on va plus en profondeur des œuvres, c’est l’aspect démiurgique qui frappe l’esprit. De son œuvre peint, sculpté, dessiné et modelé ressort un univers et des repères qui se fondent en un néo-paganisme particulier, rappelant une Amérique recolonisée par un imaginaire attentif aux formes produites par les peuples autochtones. D’ailleurs, on associe fréquemment le travail de Niki de Saint-Phalle à l’Art brut ; il y a en effet de cette part d’inconscient et d’enfantin qu’elle laisse surgir dans ses toiles et sculptures. Niki de Saint-Phalle, décidément, ne s’embarrasse pas de chichis. Mais c’est bien plutôt en grande dame de l’art qu’elle porte haut et fort une œuvre capable de reformuler le monde… et l’amour, puisque, toujours, « l’amour est à réinventer, on le sait ».
Informations pratiques :
Grand Palais, Galeries nationales
3 Avenue du Général Eisenhower (Paris 8e)
Jusqu’au 2 février 2015
Tous les jours, sauf le mardi, de 10h à 22h (fermeture à 20h le dimanche et lundi)
Entre le 20 décembre et le 3 janvier, ouverture de 9h à 22h
Tarif plein : 13 € / Tarif réduit : 9 € / Gratuit pour les moins de 16 ans
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