Jusqu’au 22 juin, le couple russe Ilya et Emilia Kabakov prend possession de la nef du Grand Palais en installant sous les 13 500 m² de la verrière une “Étrange Cité”. Cette sixième édition de Monumenta invite le visiteur à prendre le temps de la réflexion et à s’interroger sur la fin d’une utopie. Moins ludique que les précédentes installations, l’Étrange Cité a de quoi dérouter et laisser perplexe.
Monumenta, c’est quoi ?
Créée en 2007, Monumenta est une exposition temporaire qui invite chaque année un artiste à créer une oeuvre conçue spécialement pour l’occasion. Les dimensions de la nef du Grand Palais – 13 500 m² et 45 m de hauteur – offrent aux artistes une grande liberté et permettent la mise en place d’oeuvres d’envergure.
Initialement prévue pour 2013 mais repoussée pour raisons budgétaires, l’Étrange Cité des Kabakov succède à Anselm Kiefer (2007), Richard Serra (2008), Christian Boltanski (2010), Anish Kapoor (2011) et Daniel Buren (2012).
Je n’ai pas eu le plaisir de découvrir les trois premières éditions mais je garde un très bon souvenir de Léviathan d’Anish Kapoor : une structure de 72 000 m3 en quatre blocs. Le visiteur pouvait pénétrer à l’intérieur de l’un d’entre eux avant d’en sortir et de découvrir l’oeuvre dans son ensemble.
Avec Excentrique(s), Daniel Buren remplissait la nef de 377 cercles translucides et multicolores. Selon les moments de la journée, les couleurs se mélangeaient et teintaient le sol d’une couverture pastelle. Au centre de la nef, nous pouvions déambuler sur des miroirs disposés au sol.
L’étrange Cité : à la découverte de l’oeuvre des Kabakov
Pour cette édition 2014, les Kabakov proposent une Cité constituée de neuf parties.
La Coupole
Avant de nous laisser pénétrer dans l’Étrange Cité, les Kabakov nous accueillent avec la Coupole. Installation captivante faisant appel au principe de la synesthésie : la correspondance des sons et des couleurs. Elle fait référence au concept d’oeuvre d’art total imaginée par Wagner : réunir plusieurs arts dans une même création.
L’entrée dans la Cité
Le visiteur est ensuite invité à passer par une entrée en ruine, symbolisant le vestige d’une cité aujourd’hui disparue.
On pénètre alors dans un espace délimité par une double enceinte symbolisant les murs que l’on construit pour se protéger du monde extérieur.
Le musée vide
Avec ses murs rouges, cette pièce pourrait faire penser à la célèbre galerie rouge du Louvre (salles Daru & Mollien) mais ne vous attendez pas à y voir la Liberté de Delacroix ou la Méduse de Géricault. Ici, le musée est vide, les peintures ont laissé place à des taches lumineuses.
Dans la salle raisonne la “Passacaille” de Bach qui confère à la salle un caractère quasi religieux.
Libre à chacun de voir dans les taches lumineuses les traces de tableaux disparus ou les reflets de vitraux.
Les quatre espaces qui suivent sont construits sur un même modèle : une salle ovale contenant une maquette avec, autour, un déambulatoire présentant différentes créations en lien avec la maquette centrale.
Manas
Manas est une ville imaginaire située au nord du Tibet. Constituée d’un niveau terrestre et d’un autre céleste, elle est entourée de huit montagnes, chacune pourvue d’une installation permettant de communiquer avec un autre monde.
Le centre de l’énergie cosmique
Il s’agit ici d’un dispositif visant à extraire l’énergie cosmique pour communiquer avec la noosphère, sphère de la pensée humaine. Pour Vernadsky qui est à l’origine de ce concept, la noosphère est la troisième phase du développement de la Terre après la géosphère (l’inanimé) et la biosphère (vie biologique). La noosphère contiendrait toutes les découvertes de l’humanité et serait une source permanente de créativité.
Ce centre serait en mesure d’expliquer les relations entre le passé et les mondes lointains.
Comment rencontrer un ange
L’ange est protéiforme, il peut être protecteur (ange gardien) ou malveillant (ange déchu). Pour les Kabakov, l’ange représente l’aspiration au bonheur et à la sagesse.
Cette installation imagine un moyen permettant d’aller à la rencontre d’un ange. Mais pour les Kabakov, la quête de l’ange peut aussi se trouver à l’intérieur de soi, si tant est que l’on cherche à changer, à devenir quelqu’un de meilleur.
Les portails
En toutes circonstances, le portail marque un passage entre deux mondes : l’intérieur et l’extérieur ; le privé et le collectif.
Autour du portail présenté dans cette salle, douze peintures dessinent une forme d’horizon, symbolisant le passage entre la vie et l’au-delà.
La chapelle blanche
De grands murs blancs sont recouverts de 79 toiles. Tout comme dans les vieilles églises, les fresques ont disparues, ces toiles représentent des souvenirs, morceaux de vie et de mémoire. Dans ces toiles, des images de propagande soviétique rappellent aussi le passé des Kabakov. Quant à la tâche noire apposée au-dessus de l’entrée (à la place du Jugement dernier), elle symbolise l’enfer.
La chapelle sombre
Pour la première fois, les Kabakov se sont mis en scène dans les six tableaux qui décorent cette chapelle. On y voit des moments phares de leur carrière.
Ces deux chapelles montrent des moments de l’histoire des articles dilués dans la grande Histoire, une façon de mélanger l’individuel à l’universel.
Challenge réussi ? Pas vraiment…
Cette édition 2014 de Monumenta est plutôt décevante et ne répond pas au cahier des charges de l’exercice. Avec ses sept blocs fermés, l’Étrange Cité aurait pu être présentée dans un autre musée, la nef n’apportant aucune plus-value à l’oeuvre. Par ailleurs, les différents éléments qui composent la Cité ne semblent pas avoir été conçus spécifiquement pour être exposés au Grand Palais. Pour preuve, la coupole n’a pas été créée pour Monumenta mais existait déjà en 2011 :
Vous saviez que la coupole des Kabakov n’avait pas été conçue exprès pour #Monumenta ? http://t.co/eNyr7Gi36y pic.twitter.com/bZUIwUUGHv
— Fred (@InFredWeTrust) 18 Mai 2014
Il est regrettable aussi que les Kabakov n’aient pas exploité les principaux atouts de la nef du Grand Palais, que ce soit la verrière (pas de jeux de lumière) ou le large espace disponible (le fond de la nef est laissé à l’abandon).
Mais tout n’est pas inintéressant dans cette Étrange Cité et il serait dommage de passer à côté. Par rapport aux précédentes éditions, les Kabakov ne font pas dans le sensationnel ou dans le ludique : pas question de monter sur un miroir ou d’entrer dans une grosse boule rouge ! Monumenta 2014 est un appel à la lenteur et à la réflexion.
Du haut de leurs 80 ans, les Kabakov ont connu le régime totalitaire de l’URSS avant de s’exiler dans les années 80. Monumenta représente un peu leur histoire : la naissance et la fin d’une utopie, tout en laissant une porte ouverte vers un nouveau monde.
Pour comprendre et apprécier l’Étrange Cité, le visiteur devra prendre le temps de se renseigner sur l’oeuvre et de se plonger dans un questionnement intérieur. Malheureusement, le livret offert à l’entrée de l’exposition n’apporte pas beaucoup d’informations ni de clefs de lecture à cette installation dense et complexe. Il ne faut donc pas hésiter à aller solliciter les médiateurs pour en savoir davantage.
On regrettera les règles un peu désuètes et élitistes dictées à l’entrée de l’exposition, interdisant les portables et les selfies. Heureusement, personne ne veille à les appliquer, certains médiateurs n’en ont même pas connaissance. On se plait ainsi à voir sur les réseaux sociaux une multitude de selfies venant faire un pied de nez à cet interdit. Par exemple, celui de la directrice des musées de France :
#monumentaselfie #musuemselfie pipôle culture : Me Labourdette, directrice des musées de France et M. Muller #NDM14 pic.twitter.com/1cZ7tFZ5lJ
— NuitdesMusées (@NuitdesMusees) 17 Mai 2014
Ou encore celui de votre serviteur !
Oh zut ! Mon doigt a rippé j’ai fait un #selfie à #monumenta ! Mince alors ! Poke @louvrepourtous @meribs 😉 pic.twitter.com/yfbXYfXTmO
— Culturez-vous (@CulturezVous) 10 Mai 2014
Pour résumer, il ne faut pas aller voir ce Monumenta 2014 en vous attendant à y voir une oeuvre saisissante comme lors des précédentes éditions. Pour autant, si vous prenez le temps de la découvrir en détail, elle porte une réflexion intéressante sur l’Histoire, la spiritualité, le passé et l’avenir.
L’Étrange Cité est à voir de préférence en nocturne pour profiter pleinement du jeu de lumière de la Coupole.
Informations pratiques :
Grand Palais, nef
Avenue Winston Churchill, 8e arrondissement
Du 10 mai au 22 juin 2014
Lundi, mercredi et dimanche 10h – 19h
Jeudi, vendredi et samedi 10h – 00h
Fermeture hebdomadaire le mardi
Tarif plein : 6 € / Tarif réduit : 3 €
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