C’est une transformation ambitieuse qui est en train de s’opérer numéro 11 du Quai de Conti : le projet “Métalmorphose” vise à rendre accessible au public le site de la Monnaie de Paris. A la fin des travaux, prévue pour mi-2016, les parisiens pourront profiter d’un jardin intérieur, d’une brasserie et d’un espace culturel.
D’ores et déjà, un espace d’exposition accueille les travaux d’artistes contemporains. Après Paul McCarthy c’est Marcel Broodthaers (1924-1976) qui est mis à l’honneur, l’occasion de découvrir une oeuvre atypique mais passionnante.
Dans les années 1950, Marcel Broodthaers publie un recueil de poèmes. Frustré par le peu d’intérêt suscité par ses écrits, il décide en 1963 de figer son recueil dans du plâtre qu’il expose dans une galerie d’art comme une sculpture. Cette première exposition personnelle marque les débuts de l’artiste.
Cette simple citation traduit tout l’état d’esprit de Broodthaers : dans une société en plein bouleversements à la fin des années 60, il cherche à bousculer les tabous. Tout au long de sa carrière il n’aura de cesse d’interroger le rapport entre l’art et l’argent, l’original et la copie, la fiction et le réel.
L’oeuvre de Broodthaers est dense et complexe et donc difficile à décrire dans un seul article. Je me contenterai ici de vous présenter quelques œuvres en espérant vous donner envie de pousser les portes de l’exposition pour en voir davantage.
Le musée de l’imaginaire
Qu’est-ce qu’une oeuvre d’art ? C’est la question qui transparaît en filigrane de l’ensemble des créations de Broodthaers.
Au début de l’exposition on découvre une malle en osier fermée avec pour seule indication : “Cette malle contient des messages confiés à moi d’une autre hémisphère”. Charge au visiteur d’imaginer le contenu de cette malle que l’on peut assimiler à une boite de Schrödinger de l’art : puisqu’on ne peut pas l’ouvrir il faut donc considérer l’oeuvre d’art à la fois présente et absente.
Un peu plus loin, une salle blanche où les œuvres ont été remplacées par des mots. La police utilisée rappele le style d’écriture de Magritte et l’on peut voir dans la dispersion des morts une référence à la mise en page du poème de Mallarmé Un coup de dés jamais n’abolira le hasard.
Département des aigles
Marcel Broodthaers s’était autoproclamé directeur et conservateur du Musée d’Art Moderne – Département des Aigles. On en comprend pleinement le sens dans la section des figures où sont regroupés un ensemble d’objets représentant un aigle.
Dans cette collection insolite, des œuvres côtoient des “babioles” du quotidien. Ainsi exposés et placés sous une vitrine, tous ces objets, sans distinction, acquièrent le statut d’oeuvre d’art. Conscient de l’ironie de la situation, Broodthaers a apposé devant chaque objet la mention “Ceci n’est pas une oeuvre d’art”, nouvelle référence à Magritte et son célèbre “Ceci n’est pas une pipe”.
La valeur de l’art
C’est dans la section financière que l’on prend conscience du lien entre la Monnaie de Paris et Marcel Broodthaers. On peut y voir un lingot d’or sur lequel l’artiste a gravé un aigle. Après cette transformation Broodthaers proposait ce lingot à la vente pour deux fois le prix de l’or : la moitié du prix pour sa valeur brute, l’autre pour sa valeur artistique.
Ce procédé, volontairement abusif, nous pousse à nous interroger sur la valeur de l’art dans un monde où le marché de l’art a de plus en plus tendance à réduire les œuvres à une vulgaire marchandise répondant à la tragique loi de l’offre et de la demande.
Repenser le musée
Ce qui ressort de cette exposition c’est la volonté de briser les tabous qui entourent l’art. A l’image de panneaux portant la mention “musée interdit aux enfants”, l’oeuvre de Broodthers est remplie d’ironie et montre les limites des musées qui peinent à s’ouvrir à un large public. Heureusement, depuis la mort de Broodthers en 1976 les musées ont fait beaucoup d’efforts de médiation et d’accessibilité mais le chemin est encore long pour dépoussiérer l’image des institutions culturelles.
Paradoxe : l’oeuvre de Marcel Broodthaers, bien que très intéressante, est difficile à comprendre et je crains que peu de visiteurs oseront s’aventurer dans cette exposition. Heureusement la Monnaie de Paris, bien consciente de cette difficulté, met à la disposition des visiteurs une équipe de médiateurs qui proposent des visites gratuites. Profitez-en, cette exposition réserve de belles surprises !
Informations pratiques :
Monnaie de Paris
11, Quai de Conti (Paris 6e)
Du 18 avril au 5 juillet
Tous les jours de 11h à 19h
Nocturne le jeudi jusqu’à 22h
Tarif plein : 12 € / Tarif réduit : 8 €
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Voir les commentaires Hide commentsJ’ai un faible pour l’art moderne, il faudrait que je visite cette expo !