« Je ne suis jamais seule, sauf la nuit et les mardis. » Nous en rêvons parfois : les sujets des tableaux que nous regardons au musée nous parleraient. En l’occurrence, c’est la peinture la plus célèbre du Louvre qui prend vie grâce à la magie du théâtre. Il s’agit bien entendu de la Mona Lisa de Léonard de Vinci !
L’argument de la pièce peut se résumer ainsi : un voleur inculte dérobe la Joconde afin d’offrir de meilleures conditions de vie à sa mère âgée. En réalité, ce kidnapping donne lieu à une cohabitation forcée des plus inhabituelles et devient prétexte à une joute verbale opposant deux personnages bien différents. (Car la Joconde, bien vivante d’un coup, se met à parler !) C’est l’occasion pour l’auteure, Fiona Leibgorin, de mettre en exergue les points d’accroche mais surtout les désaccords entre les cultures érudite et populaire ; et de tirer, parfois à boulets rouges, sur l’élitisme culturel en le tournant en ridicule. Dans la bouche du personnage de Francis, les mots de « prison sociale », assénés à plusieurs reprises, frappent l’oreille et donnent à réfléchir.
La metteuse en scène, Cyrielle Buquet, quant à elle, s’en donne également à cœur joie. L’espace de la scène, très construit, délimite les sphères où évoluent les personnages : la dame d’antan, dans son paysage idyllique, derrière un rideau (mise en abyme de la scène elle-même), parée de ses atours et l’ami Francis aux manières bourrues, armé de sa bouteille de bière et de sa télécommande, avachi sur son canapé. Le dispositif scénique adopté se révèle ainsi très efficace et immédiatement lisible. « Encadrée » stricto sensu par un décor de carton-pâte, Aurélia Hascoat, la comédienne qui joue Mona Lisa, pourtant statique, est on ne peut plus animée ! Le tableau prend vie, plein de couleurs, à l’intérieur d’un quotidien bien morne. L’irruption du fantastique ainsi défini par le décor, devient vraisemblable, fait illusion…
Au cours de ce huis clos improbable, des rapprochements vont pourtant s’effectuer entre les protagonistes que tout oppose. Si à la longue, la dynamique de la dispute fatigue le spectateur, le rythme est maintenu. Le texte en soi, -il faut le reconnaître-, laisse cependant à désirer ; les répliques des dialogues relèvent parfois d’un sentimentalisme naïf qui ne prend pas. Le ping-pong verbal qui s’avère être le seul ressort narratif est enlevé mais peut donc aussi lasser. Au fil de l’intrigue, nous en apprenons en tout cas plus sur les motivations du voleur mal dégrossi alors que Mona dévoile des anecdotes sur ses relations avec le peintre le plus célèbre de la Renaissance, – anecdotes qui constituent les coulisses de l’histoire de l’art et éveillent vite notre curiosité. Dans le dernier acte, la menace de la police qui va perquisitionner met fin à l’escapade de Mona Lisa et aux espoirs du voleur novice, n’ayant pas même eu conscience de la valeur de l’oeuvre qu’il volait. Devant l’imminence du danger, la conversation prend une autre tournure. Chacun à leur manière, pétri de désillusions, le voleur et la dame dissertent sur l’amour, la solitude, sur ce que l’on se fait comme méchancetés, bien éloignés des sentiments de pitié et de compassion…
En somme, sont abordés des sujets universels, toujours mis sur la table à un moment donné dans n’importe quelle conversation lambda, à partir du moment où les langues se délient. Mais ici, le décalage entre les personnages rend leurs réflexions surprenantes, parfois terriblement émouvantes, au détour d’une phrase, lorsque l’on s’y attend le moins… Car, sur quoi se rejoindre, si les différences de repères culturels sont si grandes, si ce n’est sur les grandes questions métaphysiques, parfaitement platoniciennes ou parfaitement pragmatiques qui font l’existence humaine ? Le dialogue, savoureux et drôle dans la première partie de la pièce se fait en conséquence plus grave. Et l’on voit que d’une l’incompréhension première peut naître de la complicité entre deux êtres, quand la volonté de se comprendre malgré tout met en mouvement les langues et les cœurs, une fois les armes de la présentation de soi mises à bas.
En réalité, on peut dire que cette pièce constitue une étrange version de la légende de Pygmalion : en effet, la Joconde délivrée de son statut d’oeuvre d’art et d’objet de contemplation devient sujet suite à l’effraction commise par cet homme de rien. Mona Lisa, pour un temps, et grâce à lui échappe aux visiteurs de musée, qu’elle décrit comme de cruels scrutateurs obscènes. La question du voyeur, ainsi soulevée, nous renvoie inévitablement à notre position : qui sommes-nous ; que sommes-nous au musée, ou bien cachés dans l’ombre d’un théâtre ? Enfin, la pièce se termine sur une ouverture loufoque, où la liberté de la femme-oeuvre est recouvrée, elle retrouve son Italie natale et envoie des lettres à son ancien ravisseur, dont nous ne vous dévoilerons tout de même pas ici le sel ! Ainsi s’achève la pièce, nous laissant un peu sur notre faim mais content d’avoir passé un bon moment, l’esprit accroché à de possibles escapades culturelles. L’interprétation de l’oeuvre d’art devient en l’occurrence lieu de désertion, objet d’impertinence face à la culture avec un grand « C » ; la contemplation du tableau, le point de départ des esprits qui battent la campagne. Si nous ne pouvons repartir avec le sentiment d’avoir été pleinement satisfait par la pièce, nous pouvons garder dans le cœur le sentiment que les tableaux peuvent aussi être le refuge des esprits déserteurs.
Bande annonce :
Informations pratiques :
Comédie Saint Michel
Tous les dimanches à 20 heures, jusqu’au 4 Janvier
Durée : 1h30
Pas de commentaires
Laisser un commentaire Cancel