Avec quelques 30 000 œuvres, le cabinet d’Arts Graphiques représente la plus grande part de la collection du Petit Palais. Pourtant, le musée des Beaux-Arts de la ville de Paris est davantage connu pour ses tableaux que pour ses estampes. La raison est simple : pour des raisons de conservation, une estampe exposée 3 mois doit ensuite passer 3 années plongée dans le noir ! La fragilité de ces œuvres empêche donc toute présentation sur la durée et les rend, de fait, moins visibles.
Pour faire davantage connaître cette collection ainsi que l’art de l’estampe, le Petit Palais présente actuellement une exposition remarquable. Jusqu’au 14 janvier 2024, Trésors en noir & blanc nous invite à (re)découvrir quelques-unes des plus belles pièces du musée. L’occasion aussi de mieux comprendre comment s’est constituée la collection du Petit Palais et de rendre hommage aux donateurs.
Article est réalisé en collaboration avec le Petit Palais
Sommaire
Les chefs d’œuvre de la collection Dutuit
Trésors en noir & blanc présente la « crème de la crème » des estampes du musée, à commencer par une sélection des plus belles feuilles de la collection Dutuit qui fut à l’origine de la création du Petit Palais.
Un Petit Palais devenu grand musée
Remontons le temps : nous sommes en 1900, en pleine Exposition Universelle. Le Petit Palais est un bâtiment tout juste sorti de terre, construit pour l’occasion avec le pont Alexandre III et le Grand Palais. A la fin de l’Exposition Universelle se pose la question du devenir de l’édifice : faut-il le conserver ou le détruire ?!
Depuis 1870, la Ville de Paris s’est dotée d’une collection d’œuvres, constituée de commandes et d’achats, et voit dans le Petit Palais un écrin idéal pour présenter cette collection au public. En 1902, la ville reçoit par ailleurs le legs de la collection des frères Auguste et Eugène Dutuit ainsi que de leur sœur Héloïse. Ce legs marque un véritable tournant dans l’histoire du musée : avec 20 000 œuvres d’art, il offre au Petit Palais un développement sans précédent et précipite son ouverture. Le musée est inauguré le 11 décembre 1902.
Héritiers d’une immense fortune familiale issue de l’industrie textile, les frères Eugène (1807-1886) et Auguste (1812-1902) Dutuit sont de grands amateurs d’art qui dépensent sans compter pour enrichir leur collection. Si Auguste se prend de passion pour l’art antique, Eugène, lui, est un expert reconnu dans les domaines de la gravure et de la bibliophilie.
Après s’être entouré de vendeurs de confiance, Eugène Dutuit s’est forgé au fil des années un œil aiguisé et un savoir redoutable. Sa collection est sans précédent : il parvient à réunir l’œuvre intégrale de certains artistes (Albrecht Dürer, Martin Schongauer, Lucas de Leyde) et plus de 350 eaux fortes de Rembrandt !
L’œuvre à la loupe : La Pièce aux cent florins
Cette eau-forte de Rembrandt représente Jésus guérissant les malades. Elle doit donc son nom, non pas à ce qu’elle représente, mais au fait que Rembrandt l’échangea contre plusieurs pièces du graveur Marc-Antoine Raimondi, pour une valeur totale de cent florins.
Pour acquérir cette œuvre, Eugène Dutuit a déboursé 27 500 francs, une somme colossale : l’équivalent de 14 années de travail pour un ouvrier parisien !
Pour autant, les frères Dutuit ne cherchent pas à collectionner pour leur seul plaisir. Le testament d’Auguste précise en effet leur volonté de « former un établissement utile au public ». Pour aller dans ce sens, ils prêtent leurs oeuvres à de nombreuses expositions et en organisent une en 1869 au Palais de l’Industrie. Ils donnent également de leur vivant plusieurs centaines d’œuvres à la bibliothèque municipale de Rouen, jusqu’à leur donation ultime par ce legs à la ville de Paris.
Dürer, Callot, Rembrandt, Goya : 4 figures représentatives de la collection Dutuit
Le parcours de visite de l’exposition Trésors en noir & blanc nous donne un aperçu de l’importance de ce legs en présentant l’oeuvre de 4 artistes particulièrement représentés dans la collection Dutuit :
- Albrecht Dürer (1471-1528) dont Eugène Dutuit avait réussi à rassembler presque toute l’œuvre gravé ;
- Jacques Callot (1592-1635) qui était considéré comme le successeur de Dürer et le prédécesseur de Rembrandt ;
- Rembrandt (1606-1669) pour qui Dutuit s’était pris de passion, rassemblant 350 estampes de l’artiste ;
- Goya dont Dutuit possédait des essais à l’aquatinte, témoignant aussi de son intérêt pour le processus créatif de l’artiste.
En plus de ces estampes, la collection des Dutuit comprenait aussi des céramiques et bronzes antiques, des objets d’art du Moyen Âge, de la Renaissance et du XVIIe siècle, des tableaux flamands et hollandais ainsi que des livres rares. Ce legs d’envergure a permis au Petit Palais de devenir un musée généraliste couvrant la plupart des courants majeurs de l’histoire de l’art européen, de l’Antiquité au début du XXe siècle.
Le coup de maître d’Henry Lapauze pour la création d’une collection moderne
Conservateur au Petit Palais du Petit Palais dès 1903 puis directeur du musée en 1905, Henry Lapauze (1867-1925) se retrouve, grâce au legs des Dutuit, à la tête d’un musée doté d’une formidable collection d’estampes. Mais Henry Lapauze veut voir plus grand et ambitionne d’ouvrir un musée de l’Estampe moderne pour présenter un pendant contemporain face à la collection Dutuit.
Il lance alors une vaste collecte auprès de collectionneurs, artistes, ayants droits, marchands d’art ou éditeurs qui est un véritable succès : en seulement 6 mois il parvient à réunir 3 000 estampes.
La deuxième partie de l’exposition présente une sélection d’estampes collectées par Henry Lapauze et qui étaient exposées en 1908 dans le musée de l’estampe moderne. Quelques grands artistes y sont représentés comme Henri de Toulouse-Lautrec, Jules Chéret ou encore Edgar Chahine.
L’oeuvre à la loupe : Rue de village sous la neige au soleil couchant
L’estampe n’est pas qu’un monde en noir et blanc, l’exposition se termine par une petite sélection d’oeuvres en couleur comme cette magnifique eau-forte du premier quart du XXe siècle de Johannes-Martin Grimelund qui représente un paysage enneigé. La technique utilisée ici est « l’encrage à la poupée » où plusieurs encres de couleur sont appliquées sur la même matrice, donnant cet effet pastel somptueux.
Comprendre les techniques d’estampe
Tout au long de l’exposition, des pupitres permettent d’explorer les différentes techniques de création d’une estampe : gravure sur bois, eau-forte, burin, lithographie, eau-forte en couleurs… tous ces procédés n’auront plus de secrets pour vous !
Et dans la dernière salle, un dispositif interactif vous permet de créer votre propre eau-forte en version numérique.
Une collection qui continue de grandir
Si le legs Dutuit et la collecte d’Henry Lapauze ont été les deux événements fondateurs de la collection d’estampes du Petit Palais, au fil des années d’autres dons, legs et achats ont permis de continuer à l’enrichir. Ainsi ; sur les dix dernières années, près de 1300 nouvelles estampes ont rejoint les collections du musée. Certaines de ces dernières acquisitions sont à découvrir à la toute fin de l’exposition.
L’estampe, un jeu d’enfant !
Les plus jeunes visiteurs sont invités à jouer à une chasse aux trésors dans l’exposition en partant à la recherche de détails amusants cachés dans les estampes exposées.
Autour de l’exposition
Pour aller plus loin, une riche programmation entoure l’exposition :
- des visites guidées sont organisées les mardis et vendredis à 12h15 (7 € + le prix du billet)
- des conférences sont organisées gratuitement, dans la limite des places disponibles, à l’auditorium du musée
- des ateliers et workshops sont proposés plusieurs fois par semaine pour s’initier à l’art de l’estampe
Informations pratiques
Adresse :
Petit Palais
Avenue Winston Churchill
75008 Paris
Horaires :
Jusqu’au 14 janvier 2024
Tous les jours, sauf les lundis, de 10h à 18h
Nocturnes les vendredis et samedis jusqu’à 20h
Site internet :
https://www.petitpalais.paris.fr/
Tarifs :
Tarif plein : 12 €
Tarif réduit : 10 €
Article réalisé en collaboration avec le Petit Palais
Merci à Anne-Charlotte Cathelineau, Joëlle Raineau et Clara Roca, les commissaires de l’exposition, pour leurs explications riches et passionnantes ainsi qu’à Chloé Rocher et Monique Braghini-Bouscasse.
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