Depuis la rétrospective du Grand Palais, l’artiste Niki de Saint Phalle nous est devenue, si elle ne l’était pas encore complètement, une figure familière. Elle nous a fixés droit dans les yeux, au détour des stations de métro, affichée en grand sur les panneaux de la capitale. Mais la connaît-on vraiment ?
Dans ses œuvres, comme avec le film Daddy de 1972, la plasticienne évoque parfois des événements personnels, en l’occurrence le viol commis par son père. Néanmoins, il s’agit de la seule fois où elle s’expose directement. Le terreau de son œuvre se trouve pourtant dans sa vie, très riche et pleine de rebondissements, tels qu’elle les a provoqués, en véritable aventurière. Les innombrables déménagements qui ont rythmé son existence en sont une preuve. Mais sa biographie n’est pas là pour nous approvisionner en anecdotes plus ou moins voyeuristes mais bien plutôt pour nous permettre d’entrer dans les coulisses d’un théâtre de créatures fascinantes et qui nous parlent aujourd’hui si fortement : les Nanas, les monstres aux noms imprononçables, les oiseaux totémiques, totalement ésotériques, repoussant loin les tourments et la fatalité des échecs personnels… Heureusement donc que la biographie d’Elisabeth Reynaud est là pour nous offrir un tête-à-tête avec cette femme dont la vie elle-même fut celle d’une héroïne de roman.
Héroïque, Niki de Saint Phalle a cherché à l’être, mue par une impérieuse envie de vivre sans restrictions. C’est dans l’art, relativement tardivement, à l’âge de 23 ans, après s’être mariée et avoir eu un enfant, qu’elle réalise ce qu’elle appelle sa « folie des grandeurs. » Marquée par le sceau du Scorpion – elle revendique fièrement son ascendance astrologique –, la jeune aristocrate qui a vécu une jeunesse dorée se fie à son tempérament débordant. Bien qu’elle connaisse des épisodes douloureux, psychiatrisée et ayant subi des électrochocs, elle entrevoit dans la création une manière de traduire les pensées et les sentiments, puissants, enfouis en elle. Tout d’abord, ses collages faits de bric et de broc à l’hôpital psychiatrique ne convainquent pas vraiment son entourage, riche d’amateurs éclairés. Mais le monde en désordre aux pieds de la princesse en chemise blanche est à réassembler. Elle prend le monde à son recommencement ; après les guerres et les catastrophes, au cœur des années 1950, il est temps de lui rendre forme humaine.
Enfant et plus tard, adolescente, elle écrivait des poèmes aux allures augurales : noirs et pleins de feu. S’exprimer par des voies non conventionnelles était devenu très tôt une nécessité. Enracinée en elle aussi, la lutte sans merci contre les horreurs de l’existence, contre ses propres monstres, qu’elle traduit ainsi : « L’enfer, c’est moi. » Cette phrase-choc provient de son autobiographie, Traces, abondamment citée par l’auteure de la présente biographie qui puise également dans Mon Secret, autre écrit autobiographique ; cependant, on ne peut que remercier Elisabeth Reynaud tant l’écriture de l’artiste rend sensibles les épisodes de sa vie, notamment l’inceste subi par le père, – une agression qui la marquera à jamais. Ces monstres se retrouveront plus tard dans ses sculptures de dragons en polyester montés sur des structures de fil de fer. Mais la femme artiste est elle-même l’Oiseau de feu que l’on voit dans maintes de ses sculptures publiques, comme la Fontaine Stravinsky de Paris : elle renaît des cendres de ses apocalypses personnelles, tel un phénix. Cette première ligne de son existence, jusqu’à son installation à Paris et la reconnaissance de son œuvre par ses pairs, galeristes et mécènes, est retracée avec beaucoup de détails et d’anecdotes, rapportés consciencieusement par l’auteure. On regrette un peu que la deuxième partie de sa vie où la création prend toute la place ne soit pas aussi nourrie en éléments strictement liée à sa vie personnelle car on l’a bien compris à ce stade, l’une alimente l’autre.
Le début de son histoire, d’amour et d’art, avec l’artiste Jean Tinguely nous fait entrer avec l’année 1955 dans une seconde partie centrée sur le parcours artistique de celle que l’on s’habitue à nommer avec l’auteure, « Niki »… Dans le même mouvement, on a donc le sentiment de voir la personnalité flamboyante de la femme éclipsée par son œuvre peint et sculpté. Même si elle nous échappe encore, ainsi que ses amant(e)s, ses maladies (elle souffrira d’arthrite et les angoisses psychiques ne la quitteront jamais vraiment), on comprend commet se déploie son grand œuvre, quelles sont les motivations de ses premiers tableaux-Tirs, ce qui a présidé à leur avènement, dans une petite cour de l’impasse Ronsin. Il ne s’agit là que de la première expérience d’un déploiement d’explosions picturales et sculpturales. Son parcours sera ensuite fulgurant. Les succès sont au rendez-vous et le couple d’amants-artistes est invité aux Etats-Unis. Ce sont les « Bonny & Clyde de l’art », frondeurs et pleins d’inventivité. L’insolence va bien à Niki et elle continue à tirer à bout portant sur le monde de la Guerre froide et ses dirigeants, comme dans le King Kong de 1963, actuellement présenté au Grand Palais. En 1966, Hon , véritable « Nana-cathédrale », commande de Pontus Hultén, directeur du musée d’Art moderne de Stockholm consacre une œuvre désormais reconnue comme étant de premier plan sur la scène de la création contemporaine. Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely, s’attellent très vite à cette œuvre, désormais unis par des visions artistiques complémentaires et par une proximité de pensée qui présidera à leurs nombreuses collaborations.
Alors qu’elle a été invitée à participer à de nombreux événements et expositions, à New York, Amsterdam ou Paris, et que toujours, l’enfer qui l’habite demeure « ce cri sans réponse », Niki crée un paradis sur terre « où les gens se sentiront heureux », le Jardin des Tarots en Toscane qui occupe les derniers développements de cette biographie et auquel l’artiste consacrera plus de deux décennies de sa vie. Pourtant il faudra encore partir, à la mort de Tinguely, à San Diego, en Californie. C’est là qu’elle finira ses jours, et une dernière œuvre publique, le Queen Califia’s Magical Circle Garden, terminée en 2000, deux ans avant sa disparition.
Note :
2014 – 272 pages – ISBN : 978-2359051742
Elisabeth Reynaud – Française
Editions Ecriture
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