Un véritable voyage des sens, telle est expérience proposée avec « L’encens et le Goudron ». Cette pièce de théâtre à la fois olfactive, musicale et audiovisuelle, portée par la prestation d’une comédienne auteur époustouflante… est tout simplement bouleversante.
Dès l’entrée de la salle, le spectateur est plongé dans une ambiance olfactive déroutante et annonciatrice du spectacle qui l’attend. Les notes d’un violoncelle s’élèvent, Violette entre en scène.
La douleur du silence, l’horreur de l’attente, l’impatience, l’angoisse de l’avenir… Violette exprime tout cela à la fois, démunie face à son compagnon, Guillaume, plongé dans le coma suite à un accident cérébral. Se réveillera-t-il ? Combien de temps encore à attendre ? De quoi se rappellera-t-il ? L’aimera-t-elle suffisamment pour l’attendre et le soutenir à son réveil ? L’impuissance de Violette est également symbolisée par le gigantisme de la sculpture (2m70) représentant son prince charmant endormi.
Dans son attente à l’hôpital, en proie aux doutes et aux souvenirs, Violette découvre une « chorale des mots perdus », composée d’un lot de patients en cours de rééducation suite à un coma. Hauts en couleurs, ils sont témoins de la diversité sociale et culturelle que l’on peut rencontrer à l’hôpital : une aristocrate amnésique, une espagnole aphasique s’exprimant par les poèmes, un africain confondant les syllabes… à chacun son trouble de la parole ou du comportement, mais aucun n’est fou. Car c’est aussi de cela que s’empare la pièce : le regard de l’autre face et la difficulté de l’isolement vécu par ces personnes.
Qui ne s’est jamais trouvé frustré de ne pas réussir à exprimer un ressenti ou de ne pouvoir trouver le mot exact pour définir une situation, un souvenir ? Peut-on alors seulement imaginer comment vivre avec des troubles de la mémoire et du langage ?
Or Violette découvre, par l’extraordinaire pouvoir de l’odeur, comme les souvenirs peuvent ressurgir et mener au chemin de la guérison. La force des émotions véhiculées par les senteurs est unique. Notre « odorothèque » nous est propre, chaque souvenir appelé par une odeur est intimement lié à notre culture, notre vie, nos expériences… mais elles revêtent à la fois un caractère commun. Qui resterait insensible aux doux effluves de pains au chocolat tout chauds sortis de la boulangerie, à l’odeur printanière de l’herbe fraîchement coupée… ?
Là où Violette utilise ainsi l’encens pour essayer de raviver l’émotion de leur voyage en Egypte auprès de son compagnon inanimé, Bérangère l’aristocrate se rappelle de sa première communion, Abou évoque la magie noire, Rachid l’odeur du Prophète…
Assaillie par les réflexions sur l’impact du temps passé sur son couple et la peur de manquer de force, Violette se lance dans une course effrénée aux odeurs. Elle les capture dans des sacs et les offre à ses compagnons d’infortune, comme un pas vers leur guérison, mais aussi vers elle-même. Tour à tour, les fragrances (orange, encens, goudron…) viendront raviver les souvenirs et délier les langues, redonner les mots jusqu’alors échappés.
Poignante, émouvante, touchante, drôle, Violaine de Carné, auteur et comédienne principale, joue avec cœur, chante, danse, virevolte d’un personnage à l’autre avec un talent déconcertant. Expressive et énergique, elle joue avec une passion traduisant pleinement le long travail de recherche ayant précédé à la pièce : trois ans passés dans un hôpital parisien auprès de patients et soignants, pour essayer de mieux comprendre les mystères du cerveau, de ses troubles et le pouvoir des odeurs pour faire ressurgir le passé.
Ce spectacle poétique et émouvant porte une dimension universelle : cette riche palette de personnages évoquera à chacun un souvenir personnel et nos fragilités à tous. A l’émotion du jeu et des mots s’ajoutent celles des senteurs, diffusées tout au long du spectacle par le perfume-jockey Emmanuel Martini, et de la musique, jouée avec brio par Veronika Soboljevski, du violoncelle à l’accordéon.
Ce voyage onirique est à découvrir jusqu’au 21 mars au Théâtre de l’Etoile du Nord, je ne saurais que trop recommander de s’y précipiter avant qu’il ne soit trop tard !
Informations pratiques :
Théâtre de L’étoile du Nord
16, rue Georgette Agutte (Paris 18e)
Jeudi 19 mars à 19h30
Vendredi 20 mars à 20h30
Samedi 21 mars à 17h et 20h30
Durée : 1h20
15€ (plein tarif) & 10€ (tarif réduit)
En vente sur www.etoiledunord-theatre.com
Teaser :
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