La mise en scène d’une correspondance va forcément droit dans l’intime, sans nécessairement nous toucher. Car, au creux des lignes, s’épanchent des âmes, se disent des vérités qui n’ont de sens que sous les yeux de l’être aimé.
Cependant, les faire partager, lorsqu’il s’agit d’hommes aussi généreux que Georges Brassens enrichit tous ceux qui savent écouter. En un mot, on s’y retrouve. Par exemple, dans les partis pris, comme celui de célébrer le monde, d’en voir les couleurs, au lieu de se lamenter au sujet des « imbéciles » comme le fait trop souvent, au goût de Brassens, son ami philosophe, Roger Toussenot. Préférer ses fleurs et ses fruits, au lieu de se plaindre de la sécheresse de la vie. Trouver la source en soi du bonheur, malgré la faim, les contraintes matérielles extrêmes, à force de refus de tout travail salarié, voilà qui ne peut qu’émouvoir : un si beau sens, – si plein – de la liberté, qui ne pouvait rimer qu’avec poésie dans le cas de notre génie.
La mise en scène, énergique, mais parfois un peu confuse, insuffle suffisamment de vie pour ne pas nous laisser sur le bord du chemin. L’alternance des passages relatant les relations des deux hommes, leurs épanchements, avec les passages chantés par la Muse est sans doute ce qu’il y a dans cette pièce de plus réussi. La Muse est tout simplement « épatante », à interpréter les grandes chansons de Brassens, au détour de la conversation-correspondance. Elle mime en parallèle avec beaucoup de talent, les errances et les désarrois du poète, – avec beaucoup d’humour aussi. Il s’agit d’une interprétation tout à fait admirable, pourtant très risquée (en effet, une jolie jeune femme blonde qui interprète la muse de la chambre du poète, voilà qui fait partie des poncifs qui font craindre le pire). On regrette néanmoins une interprétation moins habitée qu’on aurait pu l’espérer pour le chanteur. Quand le jeu se fait trop sentir, on perd souvent en simplicité, qualité pourtant si proche du personnage Brassens.
Dans cette pièce, on en apprend par ailleurs beaucoup sur ce grand homme de la chanson, sur ses années de misère, sur ses doutes, ses engagements. Il a par exemple été un des rédacteurs du journal Le Libertaire et le sens qu’il donnait au mot « copain » prend au fil de ses missives un sens touchant, profondément vrai, et même lorsqu’il se moque de ses compagnons, ce n’est jamais sur un ton désabusé. C’est d’ailleurs au siège du journal anarchiste, quai de Valmy, que les deux hommes se sont rencontrés, au sortir de la guerre. Ainsi a débuté une amitié que l’on sent pleine de sincérité, – malgré la partie manquante des lettres de Toussenot, aujourd’hui disparues -, pleine de volonté de se comprendre, de cheminer vers les vérités de l’existence, au travers de partages intellectuels. Souvent, un livre de Gide ou des vers de Wilde accompagnent les lettres, en plus du timbre-poste indispensable à leur envoi de la part de Brassens, alors dans le dénuement le plus complet… Si ces archives mises en spectacle ne vont pas à proprement parler dévoiler le laboratoire de la création de ses chansons, ses idées à propos de la vie et des choses, ici dévoilées, nourrissent l’esprit. Et quelle émotion, à la fin, d’entendre, au travers des années, lors d’un enregistrement audio, les conclusions si sages que Brassens tire de son analyse de la société, toujours pertinentes !
Somme toute, – et c’est déjà beaucoup ! -, les comédiens offrent aux spectateurs la redécouverte d’une âme simple, celle d’un enfant, au cœur trop grand pour faire autre chose que vivre, pleinement. Merci à eux de nous faire réentendre ces belles paroles !
Informations pratiques :
Guichet Montparnasse
15, rue du Maine (Paris 14e)
Du 9 janvier au 28 mars 2015, les vendredis et samedis à 19h
Reprise du 8 mai au 14 juin les vendredis et samedis à 19h ainsi que les dimanches à 15h
Du 3 septembre au 17 décembre 2015, les jeudis et les dimanches soirs à
La pièce sera également jouée à l’occasion du festival Coups de Théâtre de Massy le dimanche 11 octobre à 14h.
Avec Vincent Mignault, Laure-Estelle Nézan, Nicolas Fumo et Amélie Legrand. Adaptation et mise en scène des « Lettres à Toussenot » : Vincent Mignault et Nicolas Fumo ; Scénographie : Solène Ortoli, Karine Boutroy et Elise Bernard.
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