Vous l’avez sans doute vu partout, le nouveau livre d’Anne Berest a marqué l’arrivée des beaux jours : Sagan 1954 raconte l’histoire de Françoise Sagan l’année où est sorti Bonjour Tristesse. Le roman remporte un immense succès et elle une immense somme d’argent, et ce alors qu’elle n’a que 18 ans – trois ans avant la majorité de l’époque. Ce récit biographique se mélange à un récit autobiographique, où Anne Berest raconte l’écriture de son livre.
Une première chose touche d’abord le lecteur : l’étonnante honnêteté d’Anne Berest face à l’exercice de la biographie. Comment raconter la vie d’une autre, une vie qu’on n’a pas vécue, qui plus dans est dans une époque qui nous est inconnue ? L’auteure précise ses envies romanesques face aux grands moments de l’année 1954, comment elle a envie d’agencer la chambre de Françoise Sagan au moment où elle s’éveille, quelle conversation elle lui invente au tout début du livre, au moment où minuit sonne et où l’année – la bonne année, la merveilleuse année – commence. Elle explique ce qu’elle invente, elle pose un livre sur la table, mais elle se questionne tout de suite : « Françoise l’avait-elle lu ? ». Et finalement, entre les éléments qu’elle sait – par documentation – et les éléments qu’elle invente, son récit est parfaitement clair, honnête, presque magique puisqu’elle réussit à se rapprocher au plus près, en tant qu’auteure et en tant que femme, de son personnage.
Françoise Sagan est une jeune fille d’une vitalité incroyable. Ébouriffée, éduquée avec une liberté peu commune pour sa classe (bourgeoise), elle connaît les bonnes et belles choses grâce à ses parents – dont les dîners étaient réputés dans tout Paris – et, surtout, a un manuscrit à montrer aux éditeurs. Elle l’a fait lire à ses proches, a obtenu une approbation réservée (ne pas lui donner trop d’espoir !) puis, enfin, l’a déposé chez les plus grands éditeurs parisiens. Quelques jours plus tard, le coup de fil miraculeux arrive enfin. Miraculeux ? Pas tant que ça, Françoise Sagan n’avait semble-t-il pas tellement de doutes quant à sa publication… Bien au contraire, le temps lui a semblé un peu long pendant la dizaine de jours qui sépare son dépôt de l’appel de l’éditeur – Julliard.
Sagan est intrigante dans sa manière si naturelle d’être talentueuse, courageuse, intrépide. Elle marque les esprits. Tant est si bien qu’Anne Berest, plus d’une fois au cours de l’écriture de son roman, rencontrera des gens qui lui parleront spontanément de Françoise Sagan, sans qu’elle n’ait rien dit de son livre. (Elle observe également l’expression de ses interlocuteurs quand elle leur dit qu’elle est en train d’écrire un livre sur Sagan : ils s’illuminent et s’accordent tous sur l’attractivité du sujet.) Un passage très marquant du livre parlera à ceux qui voient dans les coïncidences des signes et dans les tasses de café des prédictions : Anne Berest explique qu’elle va chez la voyante et lui dit simplement qu’elle écrit un livre. Elle lui demande ensuite ce que voit la voyante. Et celle-ci, croyez-le ou non nous dit l’auteure, lui parle d’une femme, une créatrice, oh oui, vous écrivez un livre sur Françoise Sagan. Ça pour le coup, c’est un miracle ! Nous parlions de magie, en revoilà !
Ce lien entre le présent et le passé, entre la vie d’Anne Berest et celle de Françoise Sagan, est très beau et admirablement décrit par l’auteure. La voyante lui explique que Françoise Sagan va vivre à travers elle, va la pousser à faire des choses ; en effet, l’auteure raconte le vide qu’elle ressent (suite à son divorce) et qui est comblé à la fois par son intense travail de recherches sur la vie de Sagan, mais aussi par les choses qui lui arrivent, qu’elle provoque, avec le personnage de la jeune écrivaine ébouriffée en tête. Cela l’entraîne dans les bras d’un nouvel homme, au Casino de Deauville, elle s’aventure dans des lectures inconnues, des chefs-d’oeuvre qu’elle avait manqués.
Sagan 1954 est également le portrait d’une époque, les esprits traumatisés par l’après-guerre, l’appel de l’abbé Pierre (raconté avec une belle émotion), le quartier Saint-Germain… Il y a à la fois de la légèreté et de la gravité dans l’air, quelque chose que l’on retrouve dans Bonjour Tristesse.
Humble mais vibrant, le livre d’Anne Berest mériterait presque autant de succès que Bonjour Tristesse. Il y a là un talent indéniable, une justesse et une intelligence inspirantes. On ferme le livre avec mélancolie, Françoise et Anne nous manqueront.
P.S. : un jour seulement après avoir fini Sagan 1954, une amie me raconte qu’elle relit avec bonheur Bonjour Tristesse. Je m’étonne, incroyable !, puis, je souris, repense à la voyante : décidément, Françoise Sagan est magique !
Note :
2014 – 198 pages – ISBN : 978-2-23-407740-9
Anne Berest – Française
Editions Stock
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Voir les commentaires Hide commentsÇa me donne envie de lire et Sagan et Berest!