Alors que l’exposition Zao Wou-Ki au Musée d’Art Moderne de Paris vient de s’achever, je ne résiste pas à l’envie de consacrer un zoom sur l’une de ses toiles intitulée « Nous deux ». Peinte en 1957, elle évoque le poème « Nous deux encore » qu’Henri Michaux écrivit en 1948 à la mort de sa femme et qui commence ainsi :
Air du feu, tu n’as pas su jouer.
Tu as jeté sur ma maison une toile noire. Qu’est-ce que cet opaque partout ? C’est l’opaque qui a bouché mon ciel. Qu’est-ce que ce silence partout ? C’est le silence qui a fait taire mon chant.
L’espoir, il m’eût suffi d’un ruisselet. Mais tu as tout pris. Le son qui vibre m’a été retiré.
Zao Wou-Ki (1920 – 2013) est un peintre d’origine chinoise. Assez tôt il s’intéresse à la peinture française, notamment à Cézanne et à Matisse. En 1948, âgé de 27 ans, il quitte la Chine accompagné de sa première femme Lan-Lan et débarque à Marseille. Il se fond rapidement dans la scène artistique parisienne mais s’intéresse bientôt à la peinture américaine et renouera par moments avec la peinture chinoise dont il s’était pourtant éloigné.
En 1957, Zao Wou-Ki est plongé dans le même désarroi que Michaux : sa femme Lan-Lan vient de le quitter – ils divorceront l’année suivante. A son propos, il avait confié « Lorsque nous nous sommes mariés, j’avais dix-sept ans, elle en avait seize. Nous étions beaucoup trop jeunes ».
Si j’ai retenu cette œuvre parmi toutes celles présentées dans l’exposition du Musée d’Art Moderne de Paris, c’est qu’elle évoque un moment particulièrement sensible de la vie de l’artiste, l’absence et le deuil ; mais elle montre aussi les liens étroits que le peintre entretenait avec la poésie.
Quant aux traits noirs semblant cacher un message, il n’en est pourtant rien. Il ne s’agit pas d’idéogrammes, Zao Wou-Ki s’est concentré ici davantage sur le geste que sur le sens. « L’espace est silence » dira Michaux de l’œuvre du peintre. Mais quel silence touchant !
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