Résumé :
Derrière le titre énigmatique de ce livre, se cache la phrase suivante : « Himmlers Hirn heißt Heydrich », le cerveau d’Himmler s’appelle Heydrich. Heydrich était le chef des services secrets nazis, la planificateur de la solution finale et était surnommé « Le bourreau de Prague » tant il y faisait régner la terreur. C’est dans ce contexte qu’en 1942 se déroule l’opération « Anthropoïde » : deux parachutistes tchécoslovaques ont pour mission d’assassiner Heydrich.
Avis :
Une fois n’est pas coutume, j’approuve totalement le choix de l’académie Goncourt ! « HHhH » est pour moi un grand coup de cœur, j’ai été totalement séduit par ce roman. Mais l’appellation « roman » est cependant à nuancer et c’est peut-être justement cette nuance qui donne au livre toute sa saveur. En effet, Laurent Binet s’est énormément documenté sur Heydrich et surtout sur l’attentat dont il a été la victime (tant sur sa préparation que sur ses conséquences). Il nous propose donc ici un livre qui a des allures de documentaire historique mais qui parfois penche aussi du côté de la fiction. L’auteur reconnaît ainsi manquer à certains moments de certitudes sur la façon dont s’est déroulée l’Histoire et laisse son imaginaire combler les vides. Tout au long du livre, au fur et à mesure que l’attentat se prépare, Laurent Binet partage donc avec nous ses hésitations ce qui apporte d’une part de la crédibilité à ses propos (on sait ce qui est avéré et ce qui est supposé) mais aussi une certaine originalité.
Au-delà de ces considérations sur la part du fictif et du réel, il faut bien reconnaître que le thème du livre est passionnant et qu’il n’y a que l’Histoire pour écrire pareil scénario, tout est là pour en faire une histoire prenante : les héros, les méchants et même des traitres. Pourtant, la triste et effroyable réalité est présente tout au long du livre où plusieurs actes barbares des nazis sont relatés. Non, ce n’est pas de la fiction, cette histoire a bien eu lieu. C’est peut-être aussi pour cela que je me suis attaché à Gabcik et Kubis et que j’ai lu avec une pointe d’anxiété le moment où l’attentat a lieu et où Laurent Binet décrit autant qu’il le peut chaque seconde de ce court instant qui semble pourtant interminable.
Il m’a semblé que Laurent Binet a réussi à trouver dans ce livre un juste équilibre, malgré sa passion pour cet évènement il arrive a relater de façon assez neutre cet épisode tragique de l’Histoire tout en adressant un bel hommage aux disparus.
Vous l’aurez compris, il s’agit pour moi d’un grand coup de cœur. L’extrait que vous pouvez lire ci-dessus est présent dans les premières pages du livre. Pourtant il résume déjà tout, tous les éléments sont là. Mais pour comprendre comment ils sont imbriqués les uns aux autres, quelle est l’histoire qu’ils cachent, alors il faut vous plonger dans HHhH, ce que je vous encourage vivement à faire.
Extrait :
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Dans cette rue Resslova, sur le trottoir de droite en descendant, il y a une église. Sur le flanc de cette église, un soupirail autour duquel on peut voir dans la pierre de nombreux impacts de balles, et une plaque, qui mentionne entre autres les noms de Gabcik et de Kubis, ainsi que celui d’Heydrich, auquel leur destin est désormais lié pour toujours. Je suis passé des dizaines de fois devant ce soupirail sans remarquer ni les impacts ni la plaque. Mais un jour, je me suis arrêté : j’avais trouvé l’église où les parachutistes s’étaient réfugiés après l’attentat.
Je suis revenu avec Aurélia à une heure où l’église était ouverte, et nous avons pu visiter la crypte.
Dans la crypte, il y avait tout.
Il y avait les traces encore terriblement fraîches du drame qui s’est achevé dans cette pièce voilà plus de soixante ans : l’envers du soupirail aperçu de l’extérieur, un tunnel creusé sur quelques mètres, des impacts de balles sur les murs et le plafond voûté, deux petites portes en bois. Mais il y avait aussi les visages des parachutistes sur des photos, dans un texte rédigé en tchèque et en anglais, il y avait le nom d’un traître, il y avait un imperméable vide, une sacoche, un vélo réunis sur une affiche, il y avait bien une mitraillette Sten qui s’enraye au pire moment, il y avait des femmes évoquées, il y avait des imprudences mentionnées, il y avait Londres, il y avait la France, il y avait des légionnaires, il y avait un gouvernement en exil, il y avait un village du nom de Lidice, il y avait un jeune guetteur qui s’appelait Valcik, il y avait un tramway qui passe, lui aussi, au pire moment, il y avait un masque mortuaire, il y avait une récompense de dix millions de couronnes pour celui ou celle qui dénoncerait, il y avait des capsules de cyanure, il y avait des grenades et des gens pour les lancer, il y avait des émetteurs radio et des messages codés, il y avait une entorse à la cheville, il y avait la pénicilline qu’on ne pouvait se procurer qu’en Angleterre, il y avait une ville entière sous la coupe de celui qu’un surnommait « le bourreau », il y avait des drapeaux à croix gammée et des insignes à tête de mort, il y avait des espions allemands qui travaillaient pour l’Angleterre, il y avait une Mercedes noire avec un pneu crevé, il y avait un chauffeur, il y avait un boucher, il y avait des dignitaires autour d’un cercueil, il y avait des policiers penchés sur des cadavres, il y avait des représailles terribles, il y avait la grandeur et la folie, la faiblesse et la trahison, le courage et la peur, l’espoir et le chagrin, il y avait toutes les passions humaines réunies dans quelques mètres carrés, il y avait la guerre et il y avait la mort, il y avait des Juifs déportés, des familles massacrées, des soldats sacrifiés, il y avait de la vengeance et du calcul politique, il y avait un homme qui, entre autres, jouait du violon et pratiquait l’escrime, il y avait un serrurier qui n’a jamais pu exercer son métier, il y avait l’esprit de la Résistance qui s’est gravé à jamais dans ces murs, il y avait les traces de la lutte entre les forces de la vie et celle de la mort, il y avait la Bohême, la Moravie, la Slovaquie, il y avait toute l’histoire du monde contenue dans quelques pierres.
Il y avait sept cents SS dehors.
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Note :
2010 – 441 pages – ISBN : 978-2-246-76001-6
Prix Goncourt du Premier Roman 2010
Laurent Binet – Français
Article initialement publié sur le blog Art Souilleurs
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Voir les commentaires Hide commentsEn réservation à ma BM, j’espère ne pas être déçu.
C’est un livre incroyable qui entremêle le combat des résistants, Prague sous le IIIe Reich et les interrogations de l’auteur quant à la place de la fiction, de l’imaginaire dans un récit historique. Un roman fort qui arrive à nous captiver, à entretenir le suspense alors que l’on connaît déjà la fin. Lorsque j’ai eu terminé ma lecture, j’ai relu les premières pages (extrait). Tous ces détails qui au début ne signifient rien, toutes ces phrases qu’on en comprend pas vraiment. Elles prennent vraiment tout leur sens. Sublime.
Je suis entièrement d’accord avec ton commentaire. Ce livre est superbe et comme tu le dis, c’est assez fascinant de réussir à nous captiver alors que l’on connaît dès le début la fin.