Allégeance
Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n’est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l’aima?
Il cherche son pareil dans le vœu des regards. L’espace qu’il parcourt est ma fidélité. Il dessine l’espoir et léger l’éconduit. Il est prépondérant sans qu’il y prenne part.
Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu, ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où s’inscrit son essor, ma liberté le creuse.
Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n’est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l’aima et l’éclaire de loin pour qu’il ne tombe pas?
« Allégeance » est un poème de René Char, présent notamment dans son recueil Fureur et mystère publié en 1948. Il s’agit d’un des poèmes les plus connus de l’auteur.
Dans ce poème, René Char nous parle avec lucidité et douceur du sentiment amoureux en reprenant un thème classique : l’amoureux délaissé. Le narrateur évoque à l’« amour » perdu, éloigné et parti, désignant par-là à la fois la personne aimée et la plénitude passée. L’« amour » n’est plus là, il marche dans la ville, pourtant il habite encore chaque courbe du vers. C’est cette présence-absence, l’amour que la solitude n’efface pas, que René Char évoque ici. Se dégage ainsi une pure impression d’amour, une douceur infinie mêlée pourtant à l’impression d’une solitude immense.
René Char utilise des structures classiques, l’alexandrin, qui rythme le poème de sa cadence régulière. Il les inclut toutefois dans des strophes à structure libre qui rappellent le paragraphe du poème en prose. Par ailleurs, on retrouve le goût de René Char pour les formules paradoxales, imagées, idéalisées. Si ce poème réussit à exprimer des sentiments différents voire paradoxaux, dans toutes leurs nuances, c’est notamment grâce à l’usage de ces formules magnifiques, qui en appelle à l’imagination du lecteur : « Dans le grand méridien où s’inscrit son essor, ma liberté le creuse ».
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