En tant que Lauréat du prix Nobel de Littérature, Patrick Modiano a été convié à faire un discours devant l’Académie suédoise. L’exercice est délicat pour l’écrivain qui préfère davantage l’usage du stylo à celui de la parole et qui s’exprime d’une façon quelque peu hésitante mais Modiano s’en sort haut la main et livre un discours passionnant. Pas question de s’encombrer des remerciements larmoyants Thank you life, thank you love, non, il préfère nous parler de ce qui constitue son art et des raisons qui l’ont poussé à devenir écrivain.
J’appartiens à une génération où on ne laissait pas parler les enfants, sauf en certaines occasions assez rares et s’ils en demandaient la permission. Mais on ne les écoutait pas et bien souvent on leur coupait la parole. (…) D’où, sans doute, ce désir d’écrire qui m’a pris, comme beaucoup d’autres, au sortir de l’enfance. Vous espérez que les adultes vous liront. Ils seront obligés ainsi de vous écouter sans vous interrompre et ils sauront une fois pour toutes ce que vous avez sur le cœur.
Si ce discours est aussi intéressant c’est que Modiano se livre, parle du rapport que l’écrivain entretien avec le lecteur et confie des anecdotes sur son enfance qui permettent de mieux comprendre son oeuvre.
Revenant sur les raisons pour lesquelles l’Académie lui a décerné la prestigieuse distinction “pour son art de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l’Occupation”, Modiano rappelle qu’il est né en 1945 et que c’est en enfant de la libération qu’il a découvert Paris. Profitant du désordre de la grande ville, il s’est glissé parmi les inconnus, observant ces destinées qui lui étaient étrangères, prenant le temps, tout simplement, de flâner et de se perdre dans la foule. La ville contient pour lui la mémoire de ceux qui y ont vécu et il s’attache à en retranscrire quelques bribes dans ses romans.
Pour ceux qui y sont nés et y ont vécu, à mesure que les années passent, chaque quartier, chaque rue d’une ville évoque un souvenir, une rencontre, un chagrin, un moment de bonheur. Et souvent la même rue est liée pour vous à des souvenirs successifs, si bien que grâce à la topographie d’une ville, c’est toute votre vie qui vous revient à la mémoire par couches successives, comme si vous pouviez déchiffrer les écritures superposées d’un palimpseste. Et aussi la vie des autres, de ces milliers et milliers d’inconnus, croisés dans les rues ou dans les couloirs du métro aux heures de pointe.
(…) je serais curieux de savoir comment les générations suivantes, qui sont nées avec l’internet, le portable, les mails et les tweets, exprimeront par la littérature ce monde auquel chacun est “connecté” en permanence et où les “réseaux sociaux” entament la part d’intimité et de secret qui était encore notre bien jusqu’à une époque récente – le secret qui donnait de la profondeur aux personnes et pouvait être un grand thème romanesque. Mais je veux rester optimiste concernant l’avenir de la littérature et je suis persuadé que les écrivains du futur assureront la relève comme l’a fait chaque génération depuis Homère…
Il me faut avouer que je n’ai lu qu’un seul livre de Modiano et si l’attribution d’un prix Nobel ne me fait pas courir vers ma librairie, ce discours en revanche me donne envie d’en lire bien davantage. Une allocution à lire autant qu’à écouter, en voici la captation :
2015 – 30 pages – ISBN : 978-2-07-014906-3
Patrick Modiano – Français
Editions Gallimard
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