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Philippe Forest - L'enfant fossileLes futurs visiteurs du Musée des Confluences seront sans doute nombreux à passer à côté de ce tout petit ossement : un simple bout de mâchoire d’enfant avec deux dents. Sur le cartel qui l’accompagnera, on pourra probablement apprendre qu’il s’agit du plus ancien reste d’homme moderne trouvé en France, de quoi éveiller – un peu – notre curiosité mais tout de même, rien de bien sensationnel. Ou plutôt presque rien comme nous le fait remarquer dès la première page Philippe Forest.

Avec L’enfant fossile, Philippe Forest s’interroge : que représente pour nous ce morceau de squelette ? Doit-on y voir un ancêtre ? une relique ? Difficile de ressentir un quelconque lien de parenté avec ce fragment estimé à 32 000 ans mais peut-être doit-on y voir comme une piqûre de rappel de la célèbre locution latine Memento Mori, souviens-toi que tu vas mourir. Remémorant au visiteur ce que le musée est vraiment : un immense reliquaire montrant aux vivants un aperçu de leur patrimoine.

Des trésors entassés qui déploient fastueusement le spectacle de toutes les richesses que l’humanité a produites, mais à seule fin d’exprimer qu’il n’est personne qui puisse jamais s’en considérer comme le durable propriétaire, chacun n’ayant au fond que l’usufruit de ce qu’il considère comme son bien.

Songeant à son enfance où il se prenait pour un chercheur de fossiles, Forest plonge alors dans ses souvenirs. Que penser de cette mémoire ? Dans l’infini du temps, cette vie passée est-elle vraiment plus éloignée que celle dont témoigne le fossile ? L’enfant fossile est aussi celui que l’on était, ce soi du passé devenu pour nous aussi flou qu’un ossement que l’on contemple dans un musée.

Car le temps de l’enfance, pour celui qui l’évoque, n’est pas moins éloigné que la plus obscure des préhistoires. On ramasse dans sa mémoire des souvenirs épars qui ne valent pas mieux que quelques ossements qu’un grand vide sépare et dont plus rien n’indique d’où ils venaient ni à qui ils appartenaient, s’essayant à les assembler au mieux afin de composer avec eux la vraisemblable mais très mensongère silhouette aux allures de squelette d’un passé dont, en réalité, plus rien ne reste.

Ayant laissé derrière soi quelque chose qui fut soi, mais que l’on peine tant à concevoir que ce quelqu’un que l’on est semble un autre, englouti dans l’épaisseur même du temps qui a passé et a pétrifié son apparence. Si bien que ne demeure plus que le creux laissé par lui où son être s’est évanoui et où désormais on ne discerne que difficilement sa douteuse forme d’enfant fossile.

On s’interroge parfois sur ce qui motive les écrivains à prendre la plume. Forest avait déjà eu l’occasion de s’en expliquer dans Ecrire, pourquoi ? (éditions Argol). Ici il tente une autre explication, dressant un parallèle entre l’écrivain et l’archéologue, chacun cherchant à faire advenir ce qui a été.

Il fallait faire absolument confiance à la fiction afin que la réalité se manifeste enfin. Je suppose que si je suis devenu écrivain, c’est parce que je n’ai pas cessé de le croire. Archéologue, à ma manière : non pas pour retrouver ce qui a été, mais à seule fin de le faire advenir. Persuadé que les mots viennent avant les choses, que les choses viennent des mots, qu’elles naissent d’eux, qu’il faut régulièrement se fier aux fables pour que celles-ci prennent forme et révèlent la vérité qui n’existe nulle part sinon en leur sein.

Si l’on observe avec attention l’ossement, on peut lire une inscription “Q761” – probablement liée à son premier classement – ainsi que “Côte” qui n’est autre que le nom de Claudius Côte qui a découvert ce fossile et qui a jugé bon d’y inscrire son nom, de quoi nous interroger sur les motivations des archéologues. Au-delà de la recherche scientifique, cherchent-ils à laisser une trace de leur passage en exhumant les ossements du passé ?

Comme si le ventre du monde dans lequel ils plongeaient afin d’y découvrir le secret de la vie et de son origine n’avait été, au fond, qu’un immense tombeau à l’intérieur duquel gisait, dispersée, la minuscule monnaie de squelettes en morceaux, dont il appartenait aux vivants de les recueillir, de les tirer de l’oubli, c’est-à-dire en somme de les rappeler à l’existence. (…)
La vielle fable sacrée qui dit que l’homme sortit de la terre au temps de la création, qu’il y retournera avant d’en être tiré à nouveau, glorieusement exhumé par une parole de vérité retentissant enfin et faisant sortir du sol les ossements desséchés du passé.
L’histoire n’étant alors que la période de cette longue gestation.

Face à ce fragment de mâchoire d’enfant, difficile de ne pas penser à la fille que Philippe Forest a perdue (lire à ce sujet L’enfant éternel, Toute la nuit, Tous les enfants sauf un). Si Forest a choisi d’écrire sur cet ossement ce n’est sans doute pas un hasard.

A la fin de ce livre, il évoque sa fille et l’empreinte de sa main réalisée quand elle était en maternelle. Que penser de tous ces témoignages qui restent ? de sa fille avec cette empreinte ; des archéologues qui laissent une trace de leur passage en inscrivant leur nom sur leurs découvertes ; de son propre passé dont il nous reste de vagues souvenirs ; et bien sûr de l’enfant fossile avec cet ossement qui est parvenu jusqu’à nous ?

Dans l’échelle immense et infinie de l’Histoire, toutes ces vies ne pèsent rien, ne signifient rien. Tout fini par être attiré dans un même néant où rien ne subsiste. Pourtant, conclut Forest, il nous reste « la forme fossile de ce qui n’est plus mais qui, cependant, pour l’éternité, un jour aura été ».

Au-delà de questionnements sur un ossement, Philippe Forest nous livre une passionnante réflexion sur notre rapport aux musées. Ces lieux de culture nous apportent des connaissances sur l’histoire de l’humanité mais, en déambulant dans les galeries remplies de grands tableaux et de statues, s’extasiant devant la beauté des œuvres, nous oublions trop souvent que les musées témoignent avant tout de la vie de ceux qui ne sont plus mais qui, grâce à leurs œuvres, “pour l’éternité un jour auront été”. Que retenir de ce livre sinon une envie d’observer encore plus les collections des musées et pourquoi pas de créer à notre tour, “de sorte que ne cesse jamais cette aventure, au demeurant assez insignifiante, que l’on nomme l’art”.

Philippe Forest - L'enfant fossile
Fragment de mâchoire d’enfant Homo Sapiens © Pierre-Olivier Deschamps – agence VU’ – musée des Confluences

 

Interview de l’auteur :

Note : Philippe Forest - L'enfant fossile 1

 

2014 – 76 pages – ISBN : 978-2918698678
Philippe Forest – Français
A paraître le 22 octobre 2014

 

Ce livre fait partie de la collection Récits d’Objets, co-éditée par le Musée des Confluences et les éditions Invenit.
Merci à Libfly et à la Voie des indés qui nous a permis de découvrir cette collection.

 

A propos du fragment de mâchoire d’enfant Homo Sapiens :

 

Par Christian Sermet, responsable des collections archéologiepréhistoire-égyptologie, musée des Confluences

Ce fragment de mâchoire est l’un des plus anciens restes de notre propre espèce Homo sapiens découverts en France. 113/150.

En Europe occidentale, les restes humains des premiers hommes modernes associés à des vestiges archéologiques du tout début du Paléolithique supérieur sont extrêmement rares. Il s’agit principalement de dents isolées et d’une douzaine de fragments osseux, la plupart vieux de 36 000 ans.

C’est Claudius Côte (1881-1956), archéologue et collectionneur, qui décide en 1925 de constituer une collection d’objets préhistoriques et de fossiles humains français pour le Muséum de Lyon. Il lui fera ainsi don de plus de 3 000 objets. Il aidera également financièrement les fouilles archéologiques de L. Henri-Martin sur le site de La Quina, en Charente. Et c’est en participant notamment à la campagne de 1933 qu’il découvre ce fragment de mâchoire d’enfant.

Ce site comprend deux abris sous roche dont l’un (La Quina–Aval) voit se succéder deux cultures préhistoriques associées à deux espèces humaines différentes : un niveau Châtelperronien associé à l’espèce néanderthalienne, qui disparaîtra en France il y a environ 30 000 ans, puis plus récemment des niveaux Aurignaciens associés à l’Homo sapiens.

C’est dans le niveau Aurignacien Ancien (entre 38 000 ans Cal BP et 35 000 ans Cal BP) qu’a été découvert ce fragment de mâchoire ainsi que de multiples outils lithiques, des objets en os et en ivoire, et des restes de rennes, de chevaux et de bovins.

Une étude, réalisée en 2012, a révélé que ce fragment de mandibule d’enfant âgé entre 5,5 ans et 6,5 ans constituait le plus ancien indice connu à ce jour en Europe de l’Ouest des caractéristiques des premiers humains modernes, c’est-à-dire de notre propre espèce Homo sapiens. Enfin, associés à d’autres vestiges découverts sur le même site, il permet de confirmer l’association de ces premiers humains modernes avec les débuts, en Europe occidentale, de la période culturelle préhistorique de l’Aurignacien.

 

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