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Dans un pays inconnu, la mort arrête de faire son travail : plus personne ne meurt. Pour autant, ce qui pourrait apparaître comme une bonne nouvelle n’est pas sans poser de gros problèmes car, s’ils ne meurent plus, les hommes continuent de vieillir. On imagine dès lors le chaos dans lequel le pays est plongé : hôpitaux surchargés, compagnies d’assurance qui font faillite, pompes funèbres au chômage technique. Quelque familles, dépassées par les événements, vont même jusqu’à conduire leurs proches à la frontière pour les laisser quitter ce monde ! Et que dire de l’Eglise dont les notions de Paradis et d’Enfer volent en éclat ? Heureusement, un beau – ou triste – jour, la mort revient s’occuper des hommes.

C’est avec ce livre que je commence ma découverte de Saramago. La première chose qui frappe avec cet écrivain, c’est qu’il a un style bien à lui. Le texte est compact, très peu aéré, loin des conventions typographiques habituelles. Les dialogues s’enchaînent sans retour à la ligne, seule une majuscule nous permet de constater que le changement de voix a eu lieu. Les premières pages sont donc un peu déroutantes mais une fois que l’on s’y est habitué, la lecture est un vrai régal.

Imaginez qu’à partir de ce soir, minuit, plus personne ne meurt. On serait probablement ravi… sauf que la vieillesse continue à faire son travail et que des centaines puis bientôt des milliers de personnes se retrouvent dans un état étrange, à un cheveu d’une mort qui ne veut pas venir.

Ce n’est pas sans humour ni sans une pointe de cynisme que Saramago explore cette situation incroyable. Avec amusement, il se plait à nous décrire quelques situations cocasses qui lui permettent de pointer du doigt quelques travers de notre société. Mais, ce qui est intéressant, c’est que l’écrivain va très loin dans la prescience, jusqu’à personnifier la mort. Eh oui car il s’agit bien d’une personne qui a pour charge de nous faire passer de vie à trépas… quand elle le veut bien, on apprendra ici qu’elle est parfois capricieuse ! Saramago nous en dresse un portrait tantôt drôle, tantôt tendre, parfois mélancolique. On se prendrait presque d’affection pour cette dame faucheuse finalement bien solitaire.

Un roman très plaisant, et un auteur que je vous invite à découvrir, si ce n’est pas déjà fait.

Et vous, vous avez lu ce livre ? Qu’en avez-vous pensé ?

 
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Extrait :
 

Par un étrange phénomène optique, réel ou virtuel, la mort semble à présent beaucoup plus petite, comme si son ossature avait rétréci, ou alors elle a toujours été ainsi et ce sont nos yeux exorbités par la peur qui font d’elle une géante. Pauvre mort. Elle nous donne envie d’aller poser une main sur son épaule dure, de lui dire à l’oreille, ou plutôt à l’endroit où elle en avait une, sous le pariétal, quelques paroles de réconfort, Ne vous affligez pas, madame la mort, ce sont des choses qui arrivent constamment, nous autres, nous autres les êtres humains, par exemple, nous avons une grande expérience du découragement, de l’échec et de la frustration, et dites-vous bien que nous ne baissons pas les bras pour autant, songez au temps jadis où vous fauchiez sans douleur ni pitié dan la fleur de notre jeunesse, songez au temps actuel où avec la même dureté de cœur vous continuez à faire de même aux personnes qui manquent le plus de ce qui est indispensable à la vie, nous avons probablement essayé de voir qui se fatiguerait le premier, vous, madame, ou nous, je comprends votre chagrin, la première défaite est celle qui coûte le plus, ensuite on s’habitue, en tout cas ne prenez pas en mauvaise part le fait que je vous dise plaise à dieu que ce ne soit pas la dernière, et je ne le dis pas par esprit de vengeance, ce serait une bien pauvre vengeance, ce serait comme tirer la langue au bourreau qui va nous couper la tête, en vérité, nous, les humains, nous ne pouvons guère faire plus que tirer la langue au bourreau qui va nous couper la tête, ce doit être pour cette raison que j’éprouve une curiosité immense de savoir comment vous allez vous sortir du mauvais pas dans lequel vous vous trouvez à cause de cette histoire de lettre qui va et vient et de ce violoncelliste qui ne pourra pas mourir à quarante-neuf ans parce qu’il ne a déjà cinquante. La mort fit un geste d’impatience, elle secoua sèchement de son épaule la main fraternelle que nous y avions posée et elle se leva de la chaise. Maintenant, elle paraissait plus grande, avec un corps plus étoffé, une madame la mort comme il se doit, capable de faire trembler le sol sous ses pieds, son suaire traînant par terre soulevant de la fumée à chaque pas. La mort est fâchée. Le moment est venu pour nous de lui tirer la langue.

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Découvrez un autre extrait de ce livre dans l’article 58 secondes de musique pour résumer une vie.

 
Note : J. Saramago - Les intermittences de la mort 1

Edition originale 2005, traduit en français en 2008 par Geneviève Leibrick
263 pages – ISBN : 978-2-7578-1162-7
José Saramago (1922 – 2010) – Portugais – Prix Nobel de littérature en 1998

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