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Il suffit de lire un seul livre de Bobin pour comprendre que l’homme n’a pas son pareil pour écrire des petites phrases poétiques et humaines qui vous retournent l’âme. Ce n’est donc pas tout à fait par hasard que j’ai été tenté par son dernier livre, L’homme-joie, et j’ai vraiment bien fait de céder à la tentation puisque c’est d’un vrai coup de cœur dont il faut que je vous parle.

Christian Bobin - L'homme-joie

Christian Bobin a construit ce livre en quinze récits où il évoque différentes personnes qui ont marqué des moments de sa vie (des proches, des rencontres ou encore certains artistes). Entre ces textes, quelques courts paragraphes laissés en écriture manuscrite viennent faire la transition, toujours de façon très poétique.

On ressent tout au long des pages une profonde mélancolie. L’écrivain a vécu des moments difficile, il évoque d’ailleurs quelques-uns de ses morts. Mais il cherche malgré tout à capter les petits moments de beauté et d’amour que l’on peut trouver dans le quotidien, dans les fleurs ou dans l’art. Il écrit « Quand ils voient un miracle, la plupart ferment les yeux ». Bobin, lui, revendique des « yeux d’or » qui lui permettent de capter les instants tendres et simples qu’il nous livre ici.

Au milieu du livre, on trouve ce qui est, pour moi, le texte le plus touchant : « le Carnet Bleu ». Une lettre manuscrite, magnifique déclaration d’amour, envoyée en 1980 à celle qu’il appelle « la plus que vive » : sa femme.

Cela faisait longtemps que je n’avais pas éprouvé autant de plaisir avec un livre. L’écriture de Bobin est tendre, délicate et très touchante, j’ai vraiment été saisi d’une grande émotion à la lecture de certains passages. L’idée d’avoir laissé quelques paragraphes en écriture manuscrite est vraiment bonne et donne l’impression d’être proche de l’écrivain. Souvenez-vous du plaisir que l’on ressent lorsque l’on reçoit une lettre qu’un ami a eu la délicatesse d’écrire pour nous, le bonheur qui nous traverse en découvrant son écriture. Ici c’est un peu la même chose, le texte se charge d’une tendresse toute particulière.

Vous l’aurez compris, pour moi c’est un grand coup de cœur. Allez vite chez votre libraire et ne passez surtout pas à côté de ce livre !

Extrait 1/2 :

Nous recevons la nouvelle de la disparition d’un être aimé comme l’enfoncement d’un poing de marbre dans notre poitrine. Pendant quelques mois nous avons le souffle coupé. Le choc nous a fait reculer d’un pas. Nous ne sommes plus dans le monde. Nous le regardons. Comme il est étrange. Le moins absurde, ce sont les fleurs. Elles sont des cris de toutes les couleurs. La moindre pâquerette cherche désespérément à se faire entendre de nous. Sa parole c’est sa couleur. Quand tu es morte, je suis devenu un drogué des fleurs. J’en mettais partout dans ma maison. Le monde, dont ta mort m’avait détaché, tournait lentement comme une boule noire dans le noir mais il y avait cette insolence colorée des fleurs, ce démenti jaune, blanc, rouge, bleu, rose au néant monocorde. Les religieuses dans les monastères savent l’importance explosive d’un bouquet de roses dans un pot de grés. Le poing de marbre s’est retiré de ma poitrine. Je suis revenu au monde comme l’enfant presse son visage contre la vitre. Le monde n’aime pas la mort. Il n’aime pas non plus la vie. Le monde n’aime que le monde. Il a donc repris toute sa place. Presque : je n’oublie pas ce que m’ont dit les fleurs en ton absence. Car j’ai fini par les entendre. La vie est à peu près cent milliards de fois plus belle que nous l’imaginons – ou que nous la vivons. Je vois la vigne vierge à la fenêtre. Des souffles colorés traversent le pré. Les fleurs sont les premières gouttes de pluie de l’éternel.

Yeux murés par l’éternel, j’avale les fééries de l’air. Et j’écris. C’est ma réponse au sans réponse, mon contrechant, un bruit d’ailes dans le feuillage du temps. Je ne peux pas te parler du mimosa puisque tu n’es plus là. Mais le mimosa, lui, me parle très bien de toi : tout ce qui est délicat a traversé le pays des morts avant de nous atteindre.

 

Extrait 2/2 :

Des mots passeraient sous tes yeux, dans le matin de tes yeux. Un mot comme celui-là : « âme ». L’âme. Un linge frais de soleil, amoureusement plié. Un drap d’or pour la couche des amants liseré de noir, brodé avec les initiales conjointes de l’orage et de l’aurore. Tu lirais encore, plus loin. Vers d’autres mots. Tu lirais les mots précieux, les mots ruisselants, les mots princiers, ceux du désespoir, ceux, les mêmes, de l’espoir. Tu comprendrais alors. Tu comprendrais que dans chacun de ces mots, sur chacune de ces pages, il n’aurait été question que de toi, que de cette merveilleuse coïncidence entre toi et l’amour que j’ai de toi. Entre toi et ces mots qui sont les miens pour te dire. Entre toi et ces mots conçus dans la nuit, engendrés par ce désordre qui suit ton entrée en mon âme et qui la pacifie. Tu comprendrais que tu ne m’as jamais empêché d’écrire. Tu comprendrais que je n’ai jamais écrit que pour toi, même avant de te connaître, même dans le temps, dans l’immensité sombre du temps précédant notre rencontre.

 
Note : Christian Bobin - L'homme-joie 1A lire également, l’avis de Gwenaëlle.

Christian Bobin - L'homme-joie 2

2012 – 183 pages – ISBN : 978-2-91336-645-9
Christian Bobin (1951) – Français

 

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