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La semaine dernière s’ouvrait la 56e Biennale d’art contemporain de Venise, riche de questions et résolument politique. Sur le papier, cette Biennale a des accents révolutionnaires. Son commissaire, Okwui Enwezor, l’a placée sous le signe d’un hommage aux trois volumes du « Capital » de Karl Marx, dont la lecture publique résonnera durant les sept mois de l’exposition. D’origine nigériane, Enwezor dénonce l’omniprésence d’un art « fait par des artistes blancs en Europe, avec de grands mécènes » en imposant une représentation équilibrée des cinq continents, remettant partiellement en question le « star system ».

 

Karo Akpokiere, Zwischen Lagos und Berlin, 2015 (photo : Claire Chickly)
Karo Akpokiere, Zwischen Lagos und Berlin, 2015 (photo : Claire Chickly)

 

L’image qu’offre la biennale de nos futurs laisse peu de place à l’espoir. Certes, le long catalogue des maux de la terre s’est considérablement enrichi de nouvelles formes de violence et d’intolérance en deux ans. Non sans amertume, le journaliste Benjamin Genocchio qualifiait l’exposition d’Enwezor de « morose, triste et hideuse » en posant la question du rôle politique et social de l’art contemporain, et de sa capacité à changer le monde : « Je vais généralement sur CNN et BBC World pour avoir ma dose d’informations déprimantes sur le monde, pas à la Biennale de Venise ».

 

Camille Norment, Rapture, 2015, pavillon nordique (photo : Claire Chickly)
Camille Norment, Rapture, 2015, pavillon nordique (photo : Claire Chickly)

 

Pourtant –et l’on ne peut pas en dire autant de CNN ou BBC World – le message de la Biennale n’a laissé personne indifférent. Depuis 60 ans, la misère humaine s’étale inlassablement sous nos yeux sous forme de JT et de campagnes publicitaires Unicef dans l’apathie générale, alors que les collectionneurs se passionnent pour les œuvres Melvin Edwards et Bruce Nauman.

 

Melvin Edwards, Texas Tale, 1992 (photo : Claire Chickly)
Melvin Edwards, Texas Tale, 1992 (photo : Claire Chickly)

 

Les artistes choisis par Enwezor ont en commun cette capacité à mettre à nu leurs angoisses, leur indignation, leur désespoir – mais surtout leur vulnérabilité – dans un monde qui s’est choisi l’image du super-héros comme modèle et la toute-puissance de l’individu comme valeur dominante. Alors que le commun des mortels ne s’autorise cette faiblesse salvatrice que dans l’intimité de ses journaux intimes, les artistes l’offrent sciemment aux regards. De cette rencontre entre deux fragilités humaines naît le dialogue entre un spectateur et une œuvre – au-delà de sa valeur esthétique, économique, sociale et politique. La date de péremption d’un article de presse est aussi celle de sa publication ; certaines des œuvres présentées à la Biennale, comme les images du cinéaste Sergei Eisenstein, sont d’une actualité dérangeante.

 

Yahon Chang, The question of Beings, 2015, Santa Maria della Pietà (photo : Claire Chickly)
Yahon Chang, The question of Beings, 2015, Santa Maria della Pietà (photo : Claire Chickly)

 

Enwezor a pris un parti d’exposition radical, et pour cela mérite d’être salué. Est-il pour autant pertinent de placer sous l’égide de Karl Marx (et de Swatch) l’une des manifestations les plus élitistes du monde de l’art ? C’est là que, pour moi, le bât blesse. Rien ne remplace la possibilité d’embrasser en un même lieu le meilleur de la création contemporaine mondiale, et c’est un luxe qui se paie cher.

 

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Comments to: All the world’s futures : l’art est-il un plat qui se mange froid ?

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